ETE 2005 

 

4ème année - n°13

 

  L'hôtel des chouettes

A l'heure où j'écris, le visage de la Lune vient d'apparaître au dessus du jardin. Au loin, le bruit étouffé de la route nationale Lille-Tournai. Qui évoque encore le masque nostalgique du " soleil des chouettes " ? Toute l'époque est organisée pour tuer la poésie. De l'intensification du travail à l'exacerbation de la concurrence entre individus, ses mécanismes sont huilés pour actionner la pompe à fric, presser le citron, accélérer la cadence, éjecter les faibles, harceler les naïfs, éliminer les rêveurs et poursuivre la course à la rentabilité, toujours plus vite. Les refuges sont dans les marges. Là où se trouve la vie. Dans l'infra-réel chanté par Zerbin Buler, le " fantôme de Lille ". A l'Hôtel des Chouettes. En ce lieu irréel et pourtant fort accueillant, je vous invite à rencontrer des poètes qui résistent, chacun à leur façon, aux mécaniques broyeuses de rêves : Robert Rapilly, poète, colleur et peintre également, qui explore les charmes de l'Oulipo, Gérard Cléry, résistant par naissance, Julien Ferdinande, le flâneur des rives de la Deule, Jean-Michel Aubevert, Alfonso Jimenez, Ericle Mimosa et Marie Groëtte, à qui j'ai dédié cette photographie authentique de l'Hôtel des Chouettes à Berck-sur-mer en le localisant du côté de la Villa Omer à Berck-plage. En feuilletant les pages de ce numéro, vous découvrirez les notes et chroniques dont la plupart ont été mises en ligne sur le site dès la mi-juin (La Chapelle sextine, Le cri muet de Francis Bacon, les surréalistes belges, Noël Arnaud et Raymond Queneau, Ivar Ch'Vavar et le poème de Berck…).


Fort heureusement, la littérature résiste plutôt bien à l'air du temps. Quel remarquable encouragement ! Le désir de créer, le besoin d'écrire, le pouvoir des mots, la liberté de lire, récréent sans cesse les espaces où nous pouvons nous exprimer, nous affirmer, réinventer la vie. Pas un jour sans qu'un article, une revue, un recueil, un livre, un disque, un film, ou un spectacle vivant, ne vienne contrarier le brouillard persistant qui nous enveloppe et nous ouate, au point de nous donner l'impression parfois que nous sommes isolés, perdus, dans un monde qui semble évoluer dans un sens contraire à nos attentes, à nos espoirs, à notre volonté. Quelque chose résiste, ou plutôt, beaucoup résistent. Un monde sans poésie, sans forêts, sans bestiaire, sans imaginaire, sans amour, sans solidarité, sans utopie, sans magie et sans rêves ne serait tout simplement pas vivable. Si le romantisme est réputé dépassé et le surréalisme démodé, leur héritage n'est pas perdu et leur pouvoir d'opposition reste intact.

PHILIPPE LEMAIRE