Jean L'Anselme,

la sympathie naturelle

     1er janvier 2012. C'est par un message électronique que j'ai appris la mauvaise nouvelle : " Bonjour, Je suis le fils de Jean L'Anselme et ai la tristesse de vous annoncer le décès de mon père ". Dans L'Anselme à tous vents, il disait préférer au saule de Musset « une bière bien fraîche, avec beaucoup de mousse… autour ». Par une ultime pirouette d'humour noir, il nous a quittés vendredi… la veille de son 92ème anniversaire ! "

        

        La rencontre entre Jean L'Anselme et la Nouvelle Revue Moderne est née et s'est poursuivie sous le signe de l'amitié. En 2000, je l'avais contacté une première fois après avoir lu un de ses textes dans L'Igloo dans la dune de Guy Ferdinande. Puis nous nous sommes rencontrés en février 2001 au Théâtre "Le Biplan", à "Wazemmes, au cours d'une soirée organisée par l'association "L'Antre à souffle". Le comédien François Marzynski y présentait, une "lecture-spectacle de poésie contemporaine" avec des textes de Jean L'Anselme, En tant que Roi des Cons je pense finir Empereur. J'ai beaucoup ri au cours de cette soirée. Le peintre bruxellois Philippe G. Brahy, qui venait d'éditer dans sa revue Dixformes-Informes un mini fac-similé de "Peuple et poésie", en profita pour adresser à Jean un éloge aussi drôle qu'émouvant. Quant à notre futur empereur, en pédagogue malicieux qu'il n'avait pas cessé d'être, il n'hésita pas malgré l'heure tardive à nous donner une leçon d'histoire de l'humour qui fut fort appréciée.
     Lors de la création de la Nouvelle Revue Moderne, c'est tout naturellement que j'ai écrit à Jean, qui ne s'est pas fait prier pour m'envoyer des textes inédits et apporter son soutien à la revue dont il fut un des premiers et fidèles abonnés. Il a aussi donné des poèmes à Roxane, alors âgée de douze ans, pour sa première revue, La Petite fleur sauvage.
     Il m'avait adressé une petite bio que je ne peux relire sans émotion :
     "Jean L'Anselme est né curieusement un 31 décembre à minuit, tout à fait par hasard près d'Amiens, en 1919 (…). Il est aussi fier d'être picard qu'un bœuf est fier d'être bourguignon.
    
 Il eut pour tâche, pendant 40 ans, de défendre la culture française dans un Ministère alors que, paradoxalement, le peintre Dubuffet, qu'il connut très tôt, dénonçait de son côté "l'asphyxiante culture". Dans son sillage, il guerroya alors toute sa vie contre ceux qui en "intoxiquaient" la littérature.
     Par antithèse et par moquerie, il arriva à prendre des positions aussi impertinentes et suicidaires que "Plus ils seront intelligents, plus je serai bête" et, à l'instar de Dada et Dubuffet, il réhabilita le laid ! "C'est avec le laid que je ferai maintenant mon beurre".
     Il a publié plus de 40 ouvrages, principalement de poésie, un essai sur l'humour, des albums pour la jeunesse, des chansons. (…) "Il est buté, têtu et bourré d'idées fixes au risque de passer pour un imbécile puisqu'il n'en change jamais."
     La collaboration de Jean lui-même et les contributions de François Huglo, Jean-Louis Lanoux et Philippe G. Brahy ont rendu possible l'édition d'un numéro spécial de la NRM, aujourd'hui épuisé, que j'ai illustré de mes collages [La NRM  Hors-série  n° 2- Décembre 2002 : "Jean L'Anselme Vive la poésie"].

     À l'occasion de sa sortie, grâce à l'enthousiasme de Didier Deroeux, animateur de la librairie Solstices à Lille, nous avions organisé une lecture avec lui (les photos qui illustrent la page Jean L'Anselme sur notre site ont été prises lors de cette rencontre). Didier Deroeux avait réuni une jolie collection de livres anciens et récents de Jean L'Anselme qui se sont vendus comme du bon pain.
  
   Une véritable amitié s'est nouée entre nous et Jean, au fil des ans, a continué à m'envoyer des textes, régulièrement publiés dans la NRM. Certains ont été réunis avec d'autres dans Ça ne casse pas trois pattes à un canard et après ? (2004) et Con comme la lune (2008), ses derniers livres parus aux éditions Rougerie. En attendant, peut-être ? le recueil de "soldes avant liquidation" qu'un de ses courriers m'annonçait en 2011. À chaque envoi de la revue, il prenait la peine d'écrire une petite lettre, pour dire ce qu'il avait aimé et pour renouveler ses encouragements à nos explorations lunaires.
     Ainsi, le 2 janvier 2011 :

"Cher Philippe,
Merci pour tes vœux et d'avoir fêté mon anniversaire généreusement en me publiant. Si je regarde dans mon rétroviseur, je constate que la "Nouvelle
Revue Moderne" a été ma meilleure terre d'accueil pour mes "pensées".
Je te souhaite longue route sur ce chemin de plus en plus difficile. L'écrit bat de l'aile, la communication change et bouscule les échanges. Cela commence à se dire.
Mon âge avance et bouscule aussi ma santé. Je suis, m'a dit le Docteur, en bon chemin. Mais plus tout à fait comme avant. Tout le monde passe par là, soyons docile. Je viens de finir un livre dont le titre te dira ce que je rumine :
"Liquidation des stocks avant fermeture"
(poésie au rabais - Soldes 30, 40, 50%)
Je brade. Vive la brocante.
Je t'embrasse
Jean"


 
    Jean L'Anselme avait une véritable envie de communiquer le bonheur qu'il trouvait dans la poésie. En dépit des apparences, la voie qu'il a choisie, celle de l'humour grinçant et de la "bêtise" revendiquée n'était pas la plus facile. C'était son idée d'une poésie naturelle qu'il aimait partager avec "l'homme du commun" pour lequel il avait le plus grand respect.
     Quel meilleur hommage rendre à Jean L'Anselme que de continuer à le lire et de sourire encore avec lui ?

Philippe Lemaire
phil.fax@free.fr
Janvier 2012
La NR n°29  - Printemps 2012

 

LIQUIDATION DES STOCKS AVANT FERMETURE
Ce livre, dont Jean L'Anselme avait souhaité la publication posthume, paraîtra en juin 2012. Il est proposé en souscription au prix de 13 euros pour un exemplaire de l'édition courante et de 19 euros pour un des 50 exemplaires sur Lana (chèque à l'ordre des éditions Rougerie).
Éditions ROUGERIE - 7 rue de l'Echauguette - 87330 MORTEMART