Création-récréation

 

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Juillet 2008
 
Poésie du Grand Nord

- NIVEAU 8 : Julien Ferdinande avait envie de faire ce livre, et il l'a fait ! Niveau 8 ressemble à une revue, mais c'est bien un livre collectif, associant 8 auteurs du Nord que relient des relations d'estime et d'amitié et une envie commune de "tremper leur plume dans leur propre imaginaire". "Rien n'est plus important qu'un parti pris, qu'une intention", écrit Julien Ferdinande en précisant que la sienne était de faire apparaître que ces écritures "se juxtaposent, s'embrassent et forment un Tout cohérent". Le véritable point commun des "présences indéniables" de Francis Duriez, Denis Ferdinande, Hervé Fléchais, Jean-Louis Rambour, Marc Tison, David Van Robays et Annie Wallois, c'est qu'aucune n'est issue d'un moule. Aucune ne s'est mise à la remorque d'une mode, et surtout pas celle du "Bien lu chez les ch'tis" (lamentable slogan du stand des éditeurs du Nord au Salon du livre de Paris). Niveau 8 donne à entendre des voix singulières, dont les racines puisent dans le terreau du Grand Nord mental et qui surgissent comme des herbes sauvages entre les pavés disjoints.

  • Julien Ferdinande : 430 rue Léon Gambetta 59000 Lille (10€ port compris).
 

- Guy CIANCIA & Jacques LECLERCQ : Mens sana val's ouf  L'opéra rap Mens sana val's ouf a donné lieu à une seule et unique représentation, le 21 décembre 2007 à la Malterie [ce lieu incontournable de l'underground lillois]. Si vous avez manqué ce moment inoubliable, le premier numéro de L'art sans l'Art est fait pour vous. Guy Ciancia a pensé à tout : sous une élégante pochette imprimée sur un bristol d'un blanc virginal, on retrouve le texte de Mens sana val's ouf tel qu'il a été interprété, des dessins de Jacques Leclercq en lieu et place des décors, et un CD qui témoigne de l'évènement. Le tout tiré et numéroté à cinquante exemplaires pour le plus grand bonheur des amateurs. Encore un truc qu'Alfred Jarry n'aurait pas désavoué !

  • L'art sans l'Art n°1 - 6 Villa Saint Michel 32 bis rue de Lens 59000 Lille
 

- KMINCHMINT n°2 : revue de la Grande Picardie Mentale (printemps 2008) De même qu'André Breton a su construire un nouveau mythe, le surréalisme, Ivar Ch'Vavar est un des rares poètes contemporains - sinon le seul - à avoir tenté de relever un défi du même type. Au fil des années, la Grande Picardie Mentale a pris corps, même si elle reste le plus souvent invisible, derrière le brouillard patoisant et la vogue " ch'ti " qu'un film récent a popularisée. Du Groupe surréaliste de Montreuil à L'Invention de la Picardie (réédition en mars chez Flammarion), du Jardin Ouvrier à L'Enfance, en passant par Cadavre grand m'a raconté (la poésie des fous et des crétins dans le Nord de la France), il existe une continuité discrète dans l'aventure d'Ivar Ch'Vavar et ses doubles. Ses doubles ? Quelques auteurs amis dont les signatures se mêlent à celles des 111 hétéronymes, pas moins, qui apparaissent dans ses revues et dans ses livres. Bien qu'elle soit affichée au grand jour, la mystification qui n'a d'autre fonction que de tisser le mythe opère parfaitement. On me demandait encore récemment si Ivar Ch'Vavar existe vraiment. J'ai répondu que nous ne nous sommes jamais rencontrés, mais qu'Ivar Ch'Vavar est le seul correspond qui m'adresse ses courriers à Neuville d'Ascq - et la Poste consent à cette fantaisie. Kminchmint (Commencement) se présente sous la forme de deux cahiers de format A4, dont l'un est imprimé à l'italienne et l'autre au format portrait. Dans le premier cahier, les reproductions de fétiches africains ponctuent les traductions en diverses langues d'un poème en picard, " Rue dech treu-à-leu " (Rue du Trou-au-loup). Parmi les autres contributions, qui vont d'Adam de la Halle à des auteurs plus contemporains, j'ai particulièrement apprécié un poème justifié de Lucien Suel, Chaman Fleury-Joseph Crépin Chti-qui-peinture, bel hommage au peintre spirite de Montigny-en-Gohelle en qui André Breton et Jean Dubuffet avaient reconnu un de nos mages. Le second cahier de Kminchmint est entièrement consacré à un poème chamanique d'Ivar Ch'Vavar, A la barbe de Jules Verne. Le poème, lu pour la première fois dans la bibliothèque-salle de travail de Jules Verne à Amiens le 20 novembe 2007 est une invocation en six chants, qui va du Docteur Ox au Secret de Wilhelm Storitz en passant par Mathias Sandorf, Le Château des Carpathes et Le Sphinx des glaces. Eprouvant voyage mental ! Dans les annexes du livre - car ce poème chamanique à Jules Verne constitue un livre - Ivar Ch'Vavar en conte l'histoire. Une "queue d'annexe" rapporte un rêve de l'âne, tout à fait étonnant…

  • Pierre Ivart - 185 rue Gaulthier de Rumilly 80000 Amiens (23€ pour deux numéros).
 

- PASSAGES n°10 (mai-juin 2008) : Mais qu'est-ce qu'elles ont donc nos petites chansons ? Ce numéro spécial rengaines est bourré de surprises ! Chaque auteur ou illustrateur a été invité à produire un petit délire autour de sa chanson fétiche. Le résultat est une joyeuse cacophonie de 29 instruments différents (autant d'auteurs et d'artistes) avec de la distorsion partout. C'est un numéro qui hurle à l'image de sa mise en page chaotique et admirable. En supplément, Passiondale, 12 poèmes de Hedd Wyn et Francis Ledwige, traduits du gallois et de l'anglais par Jeannine Hayat, Christoph Bruneel et Lucien Suel. Surnommé par dérision Passiondale (la vallée de la passion) par les Anglais, Passchendaele est ce village flamand, près de Ypres, qui fut entièrement détruit en 1917 lors d'une des plus sanglantes boucheries de la première guerre mondiale. Gaz, boue, sang et merde, c'était la chanson d'alors. Passions et hurlements vous attendent donc dans ce numéro de Passages. Les privilégiés recevront un CD contenant notamment une chanson inédite de Charles Pennequin et Jean-François Pauvros, "Tué mon amour".

  • Christian-Edziré Déquesnes : 15, rue du général Delestraint 59230 Saint- Amand-les-Eaux (30€ pour un an).

- ARMÉE NOIRE (collection printemps de merde) : L'armée noire, c'est ainsi qu'on désigne les gens pas fréquentables, du côté de Cambrai où Charles Pennequin a passé son enfance. "Dans l'état de crise de nos temps d'épuisement, l'Armée noire est dans l'art comme un p'tit tas de gueules cassées insoumises. Un p'tit tas qui tente, avec sa poésie d'arsouilles, d'émerger de la crasse des souterrains de l'âme humaine." Les textes, dessins, images, collages et détournements de la "Gazette" ne sont pas signés, comme tous les mauvais coups.

  • Armée noire : siège social dans un terrain vague, Porte de Valenciennes à Lille et dans la forêt de Soignes 3080 Tervuren (Belgique).

- Christoph BRUNEEL : DéPEAUSITIONS La peau, c'est cette frontière de 18000 cm2 qui est en même temps notre point de contact le plus intime avec le monde. Mystères de la peau, que Christoph Bruneel interroge longuement. 18000 cm2 pour un seul homme, c'est déjà beaucoup et si l'on ajoute une femme, c'est 36000 troubles. D'ailleurs, "une femmes devrait toujours être écrit au pluriel". "Célébration du toucher ?" Christoph Bruneel a élargi sa quête. Il s'est aussi frotté à la peau des livres, car il est relieur, à la peau des gravures anciennes qui représentent la peau, à la peau des photographies qui montrent la peau, à la peau des étoffes qui la mettent en valeur, à la peau des momies de peaux confites, à la peau des tatoués sur lesquels on a gravé des fleurs et écrit des livres de peau. DéPEAUSITIONS prolonge l'aventure Dada avec une poésie étonnante et sonore qui semble vouloir dérégler tous les sens en élargissant celui du toucher à tous les autres.

  • Éditions Rafael de Surtis - collection "Pour un ciel désert" 7 rue Saint Michel 81170 Cordes sur ciel (14 €)
 

- Pamphlets de L'ANE QUI BUTINE : La collection Pamphlets de L'âne qui butine aligne maintenant une trentaine de titres, un véritable exploit pour un artisan éditeur qui s'attache non seulement à proposer des textes de qualité, mais des livres-objets tous différents. Cousue main, cette collection est bien spéciale : un texte bref et enlevé sur un sujet qui fâche particulièrement son auteur ; une gravure originale de Christoph Bruneel en couverture ; un objet, une photo ou un papier surprise dans les pages intérieures ; un tirage limité à 44 exemplaires… le tout pour 7 euros. On aurait tort d'ignorer ces trésors ! Ça ne durera pas, bien sûr, car certains titres sont déjà épuisés ou en passe de l'être. S'il est déjà trop tard pour se procurer le n°0, Wordsbombs de Christoph Bruneel, ou le n°14, Alermite aux tertes littéraires ! de John Paragraph, on peut encore mettre la main sur des inédits de Lucien Suel, Charles Pennequin ou Antoine Boute. Parmi cette Bibliothèque des merveilles, j'ai particulièrement apprécié le pamphlet de Yann Kerninon sur les magiciens, En compagnie des enchanteurs de vie, celui de Michel Voiturier sur les excès du présent, Désormais dorénavant, et un des tous derniers parus, H2 : 80% de Mimosa.

 

- COMME UN TERRIER DANS L'IGLOO n°93 (22 mars 2008) Un numéro de printemps - couverture jaune - "au seuil du deuil des primevères". La joyeuse marotte infraréaliste affiche un coup de spleen, mais comment faire autrement quand il faut évoquer la disparition d'un ami, le poète Michel Valprémy brusquement décédé le 4 septembre dernier. La lettre qui l'accompagne indique aussi que "le temps des revues de poésie est révolu", ce qui n'empêche pas Comme un terrier dans l'igloo de continuer à paraître, sans calendrier précis, pour le petit groupe d'amis qui l'entoure. Malgré les difficultés qui ont entouré sa parution, c'est un bien beau numéro que nous propose Guy Ferdinande, sur un format de 92 pages qui rappelle les plus belles heures de la revue, fondée en 1984. Alors que je trouve ailleurs la tentation de la routine [par exemple dans Traversées, horripilante revue mise en page n'importe comment, qui se satisfaisait ce printemps de son numéro 50 et de ses quinze ans d'existence], la vie consubstantielle à la poésie est sans cesse présente ici. La vie qui passe, avec ses reliefs et ses aléas, et non la poésie qui lasse, à force d'être désincarnée. Une quinzaine d'auteurs, au sommaire de ce numéro (Claude Vercey, Daniel Daligand, Anne Letoré, Annie Wallois, Dan Ferdinande, François Huglo…) et profusion de chroniques, de collages, de photos… en bonus, un DVD fait à la maison avec les meilleurs moments de l'ultime Dîner des Vilains Bonhommes, qui s'est tenu le 21 décembre 2007 au Café de la Fontaine de Verlinghem.

 

- Jean-Pierre NICOL : Possible éternité Ce recueil, publié pour la première fois dans les cahiers Froissart, à Valenciennes, a obtenu le prix Luc Bérimont en 1991. C'est un petit livre précieux et les presses de l'Arbre lui rendent justice. Cette poésie veut suspendre le temps. L'idéal du livre parfait flotte sur ces pages. Il est hanté par un amour d'une force peu commune.

  J'entrerai dans ta maison
par la porte simple des mots
(…)
Depuis
des milliers d'ailes blanches
palpitent dans mon livre

 

 

 

 

 
Poésie d'ailleurs

- VERSO n°132 (mars 2008) n°133 (juin 2008) Verso, 30 ans d'existence, est incontournable. Derrière son dos carré collé (depuis le début de l'année), son beau papier et sa mise en page soignée qui sont un régal pour l'œil et pour la main, on sent une âme. C'est celle d'Alain Wexler, qui sélectionne les textes et confectionne la revue. Il est à la fois omniprésent et discret. Les thèmes affichés (voracité du refuge, de pierre et de chair…) sont toujours construits après coup, à partir du choix des textes retenus, et justifiés par une préface qui sonne le plus souvent assez juste : Verso est le résultat d'une alchimie, sans cesse réinventée. Parmi les choses excellentes à piocher dans le dernier numéro paru (133), les poèmes noirs de Fabrice Marzuolo, les fatrasies de Jean L'Anselme et un texte de Maurice Raux, "Camps de vacances", qui évoque le souvenir de visites à Dachau et Auschwitz-Birkenau et ouvre une réflexion sur la construction personnelle et la mémoire. À lire aussi, l'échange entre Romain Fustier et J-L Bernard. "La poésie n'est pas un animal empaillé", dit l'un ; "La poésie n'est pas un animal de laboratoire", dit l'autre. Enfin, du grabuge !

 

- Claude VERCEY : Les Triolets Si Claude Vercey a intitulé "Itinéraires de Délestage" sa rubrique d'humeurs dans la revue Décharge, ce n'est sans doute pas par hasard. Au volant de sa camionnette chargée de décors et de projecteurs, il a beaucoup emprunté routes et autoroutes pour colporter théâtre et poésie. Attentif aux conseils de prudence des panneaux de signalisation lumineux de la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône, il en a même tiré une nouvelle forme poétique : le triolet. "Le triolet est composé, pour des raisons techniques incontournables, d'un maximum de trois lignes, chacune ne pouvant compter plus de 15 signes. Il doit bien entendu respecter sa raison d'être : inciter les automobilistes à davantage de prudence, rappeler aux conducteurs les règles de conduite." Cela donne ceci:

 
Passagère
attachée et sages
tes mains
 

- Jean L'ANSELME : Con comme la lune On ne pouvait rêver titre mieux choisi pour le dernier recueil de Jean L'Anselme. Les lecteurs de notre revue lunaire ne seront pas dépaysés en compagnie de ces textes brefs dont certains sont parus initialement dans ces pages. Avec L'Anselme, on ne se prend pas le chou, mais on ne peut jamais s'empêcher de sourire. Et c'est beaucoup moins con que notre ami ne veut bien le laisser croire. Merci, Jean, pour cette poésie pétillante de malice !

  • Rougerie 87330 Mortemart (14 €).
PHIL FAX
 
 
Création-Récréation - Septembre 2007