Automne-Hiver 2019

 

18ÈME ANNEE - N°40

Écrire avec des images

Parler d'art est par définition parler d'alchimie. Au commencement est la matière, chaos en nous et principe originel d'où naissent formes et sons ; et aussi les mots.
« Art et Alchimie », revue Perpétuelles, 1985

 

 

 

       Alchimie du collage ? Il était tentant de proposer à des artistes du collage dont j'admire le travail de s'exprimer à ce sujet. Le collage, poésie visible, est à mes yeux un mode d'expression si important, si particulier pour chacun(e) des artistes qui le pratiquent qu'il me paraissait intéressant d'éclairer la diversité de leurs approches de leur point de vue personnel. Bien placé pour savoir la difficulté de mettre des mots sur un art qui permet précisément de penser et d'écrire en images en s'en passant, je l'avais cependant sous estimée. C'est l'ami Francis Deschodt, "sérial colleur" saisi en flagrant délit, un dessin dans une main et une paire de ciseaux dans l'autre, qui a mis le doigt dessus quand je lui ai proposé de contribuer à ce numéro : « Si aujourd'hui je dessine et je colle, c'est justement pour ne pas avoir à écrire ! »
        Merci à Francis, à Darnish, à Jean-Pierre Paraggio, à Nadine Ribault, à Yôko Yamashita, d'avoir accepté de se prêter au jeu et de nous livrer en quelques images et quelques mots, un concentré de leur passion.

       C'est moins d'Alchimie qu'il est question ici que de rapports entre les images, les ciseaux, la colle, l'encre et la peinture, et les mots qui ne seront pas nécessairement prononcés et peuvent rester en suspension, laissant ainsi l'œuvre ouverte à tous les possibles de la lecture. « Le collage… c'est d'abord les images », nous dit Darnish.
       « Pour moi, le collage, c'est écrire avec des images » affirme Claude Pélieu, grand colleur devant l'Éternel, dans un entretien avec Bruno Sourdin [1]. La belle formule de l'artiste Japonaise Yôko Yamashita est plus précise encore : « Pour moi, le collage, c'est le surgissement d'une image dans l'attente du mot à venir. »

       Le collage comme écriture et poésie visuelle ouverte à ses lecteurs, telle est donc la proposition qui anime, sous des formes diverses, ce numéro de la Nouvelle Revue Moderne. Jacques Abeille, nous offre ici un inédit, initialement écrit pour projet qui n'a pas encore vu le jour, qui m'apparaît comme une miniature précieuse. Géraldine Serbourdin, à petites touches délicates, se prête aussi au jeu d'écrire sur une de mes images. Claude Léon colle des mots pour nous offrir trois "fictions de poche" illustrées de dessins automatiques. Marie Groëtte nous propose sa lecture d'Un Voyage d'envers, où collages et poèmes font tourner les têtes. Quant à Ariane Mayer, elle m'a fait le grand plaisir de permettre à mes "femmoiselles" d'accompagner ses Paroles en l'air, sans oublier de s'exercer elle-même à l'art du collage et de l'assemblage, puisqu'elle a purement et simplement mis en bouteille - en quelques exemplaires - son dernier texte inédit, Carnet Dinde.
        Enfin, me souvenant que le rêve est une "écriture d'images", j'ai choisi d'en glisser un dans ces pages, accompagné d'un dessin de Caroline Dahyot qui y fait curieusement écho.

« L’Amazone Égarée »
Collage de Philippe Lemaire © 22 juin 2015.


Philippe Lemaire
phil.faxàfree.fr
La NRM  n°40 - Automne-Hiver 2019

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[1]
Je suis un Cut-up vivant, ouvrage collectif autour de Claude Pélieu. L'Arganier, 2008.