Je suis un cut-up vivant
ouvrage collectif autour de Claude PELIEU + La Crevaille (L'Arganier)

Je suis un cut-up vivant, dont Alain Jégou a été le maître d'œuvre, est un remarquable hommage à Claude Pélieu, mort le 24 décembre 2002 à Norwich, dans l'état de New York. La Crevaille, supplément offert aux souscripteurs, est son dernier manuscrit et le poème de son agonie. Diabétique, atteint d'un cancer, il avait été amputé d'une jambe. Dans ces moments extrêmement pénibles, il s'accroche à la poésie. Toute l'horreur de "la crevaille" est égrenée en quelques mots : "Chaque jour un désastre tranquille." "Avec une jambe en moins, pas facile d'aller cracher ses poumons rue du Silence". Pélieu encadre une citation de Prévert, découvert à l'âge de 15 ans : "Quand la vie a fini de jouer la mort remet tout en place". Et un peu plus loin : "Prévert a su faire chanter les mirages musiquer les mots & les choses de la vie". L'amertume du départ annoncé sans égards ("Ce matin on m'a demandé si je pouvais payer les frais de pompes funèbres") se double de la tristesse devant "cette misère spirituelle qui annonce notre perte - l'amnésie de plusieurs générations."

En relisant La rue est un rêve (1989), je retrouve cette même idée sombre : "1985 et 1986 s'annoncent plutôt mal. De 60 à 72 je ne pensais pas que tout partirait aussi vite en fumée." Face à l'oubli qui menace, Je suis un cut-up vivant est un livre d'autant plus précieux que Pélieu le rebelle, qui se voyait toujours "comme un vieux punk de première classe", nous laisse une œuvre radicale qui conserve son pouvoir subversif. Les multiples contributions à ce livre font revivre la chaîne d'amitiés tissée par le poète des deux côtés de l'Atlantique. L'ouvrage est assorti de nombreuses photos, et de collages en couleur qui ouvrent chaque chapitre. J'ai été particulièrement sensible aux entretiens où Claude Pélieu et Mary Beach, sa compagne, s'expriment longuement sur leurs rencontres et leurs pratiques créatives. Peintre depuis sa jeunesse, Marie Beach s'est mise au collage à 75 ans ! Claude Pélieu a pratiqué toute sa vie le "cut-up", inventé par Dada et systématisé par William Burroughs et Brian Gysin, qui appliquent les techniques du collage et du montage à l'écriture, en laissant toute sa part au hasard. William Burroughs : "L'incohérence est préférable à l'ordre qui déforme". Claude Pélieu : "Le mot écrit est une IMAGE. La conscience est un CUT UP. La vie est un CUT UP. (Peut-être, sûrement, peut-être pas)" Il ajoute, dans un entretien de 1993 avec Bruno Sourdin : "Pour moi le collage, c'est écrire avec des images".

Face à la misère spirituelle du temps, il est vivifiant de faire vibrer les juke-boxes, tatouages mentholés et cartouches d'aube de Claude Pélieu. Et pas uniquement comme de vieilles chansons jaunies. Car si on peut faire éclater les mots et les images, il n'est peut-être pas impossible d'enrayer le ronronnement mortifère du monde d'aujourd'hui. Alain Jégou me fait aussi passer cette bonne nouvelle : "Nous n'avons pas l'intention de nous en arrêter là et envisageons, avec L'Arganier, de republier les œuvres de Claude en plusieurs volumes. La totalité de ses textes publiés en France, + ceux publiés aux USA et ailleurs, + une flopée d'inédits récupérés chez tous les potes de la planète."

Phil Fax
La NRM  n° 23 - Printemps 2009

A propos de Claude Pélieu voir également La NRM n° 19

  • Editions L'Arganier (24 €).