Création-récréation

 

Juin 2006
 

- Jacques ROUBAUD : Cœurs Mon cœur, ton cœur, nos cœurs… Ces "cent quatrains sentimentaux imités de Pibrac" m'ont fait une énorme impression, allez savoir pourquoi ? Chez Roubaud, on ne sait jamais très bien si c'est l'esprit, le style, l'humour ou la tendresse qui l'emporte. Un recueil qui commence par "Mon cœur est le numérateur" et se termine par "Tintin" ne peut que faire craquer ses lecteurs, de 7 à 77 ans. Qui d'autre oserait écrire :

Mon cœur est une molle éponge
Qui se gonfle de tes mépris
Pour réconfort je lis du Ponge
Remède qui n'a pas de prix

Ou encore :
Ton cœur est un anthropophage
Qui fait rôtir tes amoureux
Quand je te traite de volage
Ah ! L'innocence de tes yeux !

C'est beau comme du Topor ! Comment fait-elle, la belle au cœur ingrat, pour ne pas craquer sur ce "quelque chose rose" ?

 

- Jacques JOUET : Danaé (trentine) Sur le modèle de la sextine, forme inventée par le troubadour provençal Arnaud Daniel au XIIème siècle et redécouverte par Queneau, Jacques Jouet nous propose ici une trentine, la première du genre. Comment ne pas être attentif aux inventions d'un auteur qui a prévu d'écrire "au moins un poème par jour, jusqu'à son dernier souffle" ?

 

- Robert RAPILLY : Le gestomètre : (poèmes neufs ou d'occasion) Bonheur que ce recueil "imprimé à la maison" qui constitue une sorte de supplément officieux à la "Bibliothèque Oulipienne". L'animateur de Zazie mode d'emploi et des jeux littéraires des Nouvelles d'Archimède a rassemblé ici les plus brillantes de ses trouvailles, y compris de "chouettes poèmes" que les lecteurs de la NRM ont pu découvrir dans ces pages. Merci, Robert, de nous livrer ces jeux éblouissants !

 

 

Noël ARNAUD : Entre la poire et le fromage (Jean Dubuffet et ses Vignettes Lorgnettes). Écrit en 1961, ce texte était destiné à accompagner 24 gravures de Dubuffet extraites de la série des Vignettes Lorgnettes. Les hasards de l'édition renvoyèrent aux oubliettes lorgnettes ce texte "excellent et très brillant" selon Dubuffet lui-même, qui nous parle des pouvoirs dérangeurs de l'art.

  • Patrick Fréchet éditeur - Le Pradel, 12270 Saint-André-de-Hajac (25 €).
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- François HUGLO : Le corps fabuleux du vin Œnologue et critique, François Huglo est avant tout poète, et ces petites proses sur le vin se dégustent en compagnie d'un connaisseur en plaisirs affinés.

- Michel PIERRE : L'enfer vaut l'endroit L'œuvre discrète de Michel Pierre est-elle un exutoire ? C'est ce qu'il semble parfois tenté de nous faire croire. De ces courtes proses obsédantes au ton unique, il émane un parfum de fleurs du mal. Je place cette poésie parmi les plus authentiques d'aujourd'hui.

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- Revue Ozila n°2 (février 2006) Ozila étend ses ailes et prend son envol. Sous ses modestes apparences, cette revue est véritablement habitée, comme en témoignent les soirées organisées par l'association "Le Vaste Songe" chaque dernier vendredi du mois (au bar Le Salsero, rue Henri Kolb à Lille). J'ai quelques difficultés à rendre compte de ce numéro, tant j'ai aimé sa richesse et sa diversité. J'ai notamment apprécié l'article de Rodrigue Ndong, "Mongo Beti ou les conseils à un jeune écrivain". Pour moi qui l'ai connu, trop superficiellement, alors qu'il était professeur au Lycée Corneille de Rouen cet hommage posthume au grand auteur camerounais disparu en 2001 est comme un écho venu de très loin, porté par des voix africaines d'aujourd'hui. Ecoutons donc Rodrigue Ndong, Serge Mbarga Owana, Ada Bessomo, Aurore Krol, Florence Alfredo et leurs amis : leur voix, rare et précieuse, mérite d'être entendue avec la plus grande attention.

 

- Comme un terrier dans l'Igloo n°83 et 84.. Sur un ton plus grave que celui de ses précédents recueil, "Le feu" (dans l'Igloo n°83) nous communique toute la chaleur d'Alfonso Jimenez, avec une poésie qui mêle humour acerbe et nostalgie. Sur le thème "Interprédations", le n°84 de l'Igloo est consacré à de curieuses interprétations signées Jean-Noël Potte, Daniel Giraud, Bruno Sourdin, Daniel Daligand, Claude Vercey, Georges Hassomeris et Marie-Noëlle Agniau notamment. Je ne serai pas complet si je n'ajoutai pas que chacun de ces numéros de Comme un terrier dans l'igloo vient aussi saluer le départ d'un ami, au terme de tragédies personnelles qui conservent leur part d'indicible. Baudhuin Simon, infatigable animateur de Mail-art sous le nom de "Pig Dada", nous a quittés volontairement le 8 mars en se jetant sous un train. Armand Olivennes s'est éteint le 19 avril après six années vécues dans le silence, coupé du monde par les conséquences d'un accident cérébral. Merci, Guy, d'avoir trouvé les mots justes pour évoquer deux individualités uniques dont chacune avait trouvé sa propre voie pour conduire une entreprise poétique singulière.

 

- Jacques SIMONOMIS : Simples comme… (éditions Alba) La Queue leu leu du fabuleux (Éditinter) Il est émouvant de découvrir les deux derniers livres de Jacques Simonomis, recueils posthumes où le poète disparu en février 2005 se livre encore un peu et nous invite à converser comme si la mort ne l'avait pas emporté. Hymnes à la vie, à l'amour, aux instants de bonheur fragiles, les poèmes de Simples comme… échouent pourtant à éloigner la Camarde, qui pointe parfois le front sous les caractères noirs :

Poème placebo
hisse-moi
hors de l'avenir

Les textes courts de La Queue leu leu du fabuleux surprendront, dérouteront peut-être, tant ils sont partagés entre légèreté et gravité, comme nos vies. Envie d'y revenir, de les relire, pour en parcourir toutes les arcanes. Jean-Paul Giraux, dans sa préface, n'a pas tort d'y voir "les effets d'un talent que n'aurait pas désavoué Max Jacob".

  • Editinter BP15 - 6 square Frédéric Chopin 91450 Soisy-sur-Seine (15 €).  http://www.editinter.fr/   [RÉFÉRENCE DISPARUE]
 

- José MILLAS-MARTIN : De Fond en comble Editeur et poète resté fidèle à lui-même, José Millas-Martin nous offre ici un recueil d'une grande fraîcheur, qui m'a donné envie de puiser dans ma bibliothèque pour revenir un peu en arrière et le relire. Entre Matières premières, publié en 1967, et ce nouveau livre, une même posture résolument moderne : humour, dérision, poésie brute utilisant parfois "la déchetterie de la chose imprimée", comme d'autres recyclent les matériaux de la vie quotidienne dans l'art contemporain. En fouillant De fond en comble, les amateurs de textes brefs trouveront quelques joyaux.

 

- Jacques ABEILLE : Belle humeur en la demeure Voici un livre dont l'atmosphère tient à la fois du conte gothique, du roman érotique des années 30 et du ton très personnel que donne Jacques Abeille au récit fantastique. Celui-ci se déroule au sein d'une grande maison, dont le maître parcourt longuement les couloirs, de la chambre à la bibliothèque, tandis qu'une jeune bonne nouvellement introduite dans les lieux découvre les pouvoirs que ses charmes vont bientôt lui attribuer. Dans cette "demeure des lémures" (titre initial choisi par l'auteur), le sexe féminin se compare à un livre, et la maison elle-même à un "ventre de pierre". Il s'y noue de troublantes intrigues…

 

- L'échappée belle n°13 (Novembre 2005) : Cette échappée annuelle animée par Nadège Fagoo et Laurence Duprey, est de plus en plus belle ! Sous la couverture en couleur qui présente une superbe photo de Nadège Fagoo, il s'en passe des choses ! Je ne vous raconte pas ! Je ne vous dirai que le thème de ce numéro : " Du bout des doigts… "

  • Nadège Fagoo - 833, route de Méteren 59270 Bailleul (36 pages, 6 €).
 

- Patricia PRINCE : Je respire sous l'eau Attaque virale ! L'auteure d'Abus Vertigineux (2000) et de La Funambule des démons (2001) affiche des interrogations troublantes derrière les poses empruntées à l'univers du rock et du cinéma fantastique :

Je te connais ou pas, ou presque ou peut-être
Pas du tout
Mais Tu es là.
Et je t'ai vu ailleurs…
Au sommet des Carpates
Tes yeux me parlent
Ta bouche me regarde
Je ne t'ai jamais vu
Si étrange !
Je ne te connais pas
C'est sûr (…)
Tu es si loin
Et l'étrangeté me va si bien !

  • Editions Le Virus de l'ombre 104 rue du Général Leclerc 59840 Pérenchies.

 

- Diérèse n°31 Le poids de l'ombre Diérèse est plus qu'une revue, c'est une anthologie vivante où s'accumulent cahiers de poésie, contes, "attraits", notes de lecture… Citons, parmi les richesses de ce numéro, les noms de Pierre Dhainaut, Daniel Abel, Michel Valprémy, Roland Nadaus, et la suite des lettres de Jean Rousselot à François Huglo.

  • Daniel Martinez - 8 avenue Hoche 77330 Ozoir-la-Ferrrière (264 pages, 8 €°).

 

- Verso 123 dans l'œuf, entends la mer (déc 2005) Verso 124 écrin des douleurs (fev 2006) : Revue ou œuvre graphique ? Par son élégance, chaque numéro de Verso est un petit chef d'œuvre d'élégance et d'équilibre, dont chacun des ingrédients est choisi, ciselé et mis en forme par Alain Wexler, qui conduit les destinées de la revue depuis 1977. Parmi les nombreux auteurs publiés, j'ai particulièrement apprécié Fadila Baha dans le n°123 et Jacques Coly dans le n°124.

  • Alain Wexler Le Genetay 69490 Lucenay (6€) http://revueverso.blogspot.com/
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    - SAMARKAND ! SAMARKAND ! Il est difficile de parler d'un objet inclassable auquel on a soi-même un peu contribué à donner un visage. Monsieur Toussaint Louverture nous offre quelque chose de vraiment étonnant, un livre précieux et dépaysant (couverture en relief avec dorure à chaud, polices de caractère, papier, illustrations, tout concourt à cette impression) qui ne ressemble à aucun autre. Les douze nouvelles présentes ici, dues à des auteurs presque tous inconnus, augmentent encore l'impression d'étrangeté, de jamais vu et de jamais lu. Tout est conçu pour séduire et dérouter insidieusement. Plusieurs textes s'aventurent sur les territoires du livre imaginaire, ce qui ajoute au charme mystérieux de l'ensemble. Dénichez à tout prix cette perle de bibliothèque !

     

- Contre-allées n°17-18 (automne-hiver 2005) Pierre Tilman, en vedette de ce numéro, nous offre une jolie série ce poèmes en vers libres ("Il fait beau dans la télé…"). A ses côtés, les auteurs familiers de Contre-allées, Rémi Faye, Armelle Leclercq, Magali Thuillier, Romain Fustier, Amandine Marembert…

 

- L'Enfance n°3 (mai 2006) Un an à peine après avoir lancé sa nouvelle revue L'Enfance, Ivar Ch'Vavar en cède les clés à sa voisine, Claire Ceira. Il ne s'agit pas, semble-t-il, d'une nouvelle hétéronyme venant ajouter sa signature à celle des " fous et crétins de Picardie ", mais bien d'une personne réelle qui écrit elle aussi et donne sa propre direction à la revue dont elle vient de prendre le volant. Ce numéro accueille des textes d'Ariane, Antoine Boute, Aliocha, Delphine Gest, Jean-René Lassale, Pascal Leray, Sacha Czerwone, Sophian' Naït-Bouda, Louis Dechristé, Ivar Ch'Vavar, Lucien Suel, et est accompagné d'un recueil inédit de Bernard Barbet, La Vitre enrayée.

  • Claire Cassagne - 64 rue Gaulthier de Rumilly 80000 Amiens (10€ pour 2 numéros).

 

- La vie secrète des mots : n°1 (janvier 2006) et n°2 (avril 2006) Proche du Jardin Ouvrier dans l'esprit et la présentation le premier numéro de cette nouvelle revue qui émerge des brumes picardes est consacré à un recueil en vers justifiés d'Ivar Ch'Vavar, La Grande tapisserie. Pascal Lenoir nous offre en supplément son poème Nuits de Picardie. Même formule double avec le n°2, consacré par Christian Edziré Déquesnes à un hommage au poète tournaisien Géo Libbrecht, livré lui aussi avec un supplément, Croquis du labyrinthe de Solange de Baumanoir. Abonnement vivement conseillé à cette revue qui démarre brillamment et ne devrait pas manquer de nous surprendre.

  • Pascal Lenoir - 11, ruelle de Champagne 60680 Grandfresnoy (10 € pour 4 numéros).
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- Christoph BRUNEEL : Wordsbomb Tiré d'un poème de Peter Arthur Caesens, le mot Wordsbomb vient révéler le pouvoir explosif des mots : "Dégueulez vos viscères sémantiques sur les lichens de l'indifférence", "écaillez les mots au-delà du miroir", "blasphémez sur votre propre langue et prêchez dans celle des autres", "embrayez le braille à fleur de peau", "toussez les mots"… car "ilyacommejelecroisunenouvellemanière d' écrireilmeparaîtsurprenantqu'ellesoit juste-ment nouvelle". Wordsbomb !

- Ariane MIZRAHI : Une vie bien chaussée : Voici de petits textes tendres qui tournent curieusement autour des pieds, pieds nus et pieds chaussés, pieds élégants et pieds en chaussons, pieds de bébé et pieds de maman, pieds hésitants et pieds oubliés, tous ces pieds avec lesquels chacun s'avance dans la vie et y laisse une empreinte dans le cœur de ceux qui sont attentifs à notre passage. Avec ce premier recueil, Ariane Mizrahi avance en poésie d'un pas déjà bien assuré. Sa sensibilité et la délicatesse de son écriture sont pleines de promesses.

 
PHIL FAX
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