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Ce
regard de Jean Rousselot sur l'uvre de Jacques Simonomis
est tout sauf complaisant. Chez lui dans l'apostrophe, la
protestation, la polémique, usant de la moquerie,
la dérision, truculent, tirant en virtuose des déferlantes
de fantaisie et d'humour, malaxant, mélangeant genres,
niveaux de langage, le chemin d'écriture accompli
par Jacques Simonomis ne pouvait que conduire à l'installer,
avec insolence en témoin authentique de notre époque.
A l'opposé des faiseurs.
Une
trentaine de titres sont aujourd'hui à inscrire à
l'actif du poète, habile dompteur des mots de la
langue. Et on retiendra, non sans impatience gourmande,
que des inédits sont en instance de parution. Dans
sa bibliographie, on pourra peut-être ouvrir d'abord
La villa des roses(1),
Mon siècle en deux, Les couseuses, Le calfat des
étoiles(2),
Un singulier grand ordinaire, Fort de café(3),
Claudication du monde(4),
livres écrits d'une main sûre, libérateurs
d'énergie, révélateurs d'une généreuse
humanité.
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Mon
premier vrai contact avec l'écriture de Jacques Simonomis,
c'est au peintre et ami Philippe G.Brahy que je le dois.
Informé de similitudes biographiques entre moi et
l'auteur de La villa des roses, poèmes écrits
pendant la guerre d'Algérie par Jacques Simonomis,
Philippe Brahy me demandait d'en faire la chronique pour
Dixformes-Informes, revue mensuelle non conformiste
dont il a tenu les rênes avec persévérance
pendant 40 numéros. Après lecture achevée
j'avais noté : "De ces années où
on attachait "pour l'exemple" aux pare-chocs des
automitrailleuses les "fells" abattus en opération,
Jacques Simonomis a ramené La villa des roses,
recueil d'un poète de vingt ans. (...) Se souvenir
que ce temps là fut celui du baillon "Qui
ose parler de Gestapo/d'Inquisition/nous sommes en 1961/en
Algérie/dans la Villa des roses" reste encore
et toujours salutaire. Dire et redire les humiliations "Je
suis soldat et j'en ai honte madame/je ne peux pas vous
embrasser dans la rue", l'horreur "Amateurs/collectionneurs
d'oreilles/garçons de bains/très très
bien/ ils se donnent du mal", le mépris
imbécile "Tir au pigeon fellaga/pan pan dans
la djellaba/il a gardé ses moutons/sans répondre
aux sommations", répéter que cette
guerre là fut avant tout une guerre d'oppression,
qu'elle multiplia les prouesses contestables "on
pilonne la pauvreté à la bombe et au mortier"
appartient à la conscience de la poésie et,
plus encore, à l'honneur des vivants. Il y a des
dégoûts, des dérisions "Cloués
aux portes des bordels/de jeunes soldats ivres s'agitent
au vent/de sable de l'Histoire/aucun passant ne les regarde"
et des fraternités "il n'y a plus d'Arabes/il
n'y a que des hommes, une même famille aux tables
séparées qui signifient clairement votre appartenance".
L'affirmation des traces indélébiles que l'Histoire
devait laisser dans l'écriture de Simonomis se vérifiant
à plusieurs reprises, par la suite.
Autoportait
en allumeur de dictionnaires
L'homme
Simonomis possède toute sorte de dictionnaires et
dans les domaines les plus divers. Il ne s'en cache pas,
il s'en vante, il les collectionne avec amour. "L'enfant
emporte sous la table les deux volumes du " Larousse
universel " édité en 1922 par "
Je sème à tout vent ". Le pli est
pris de bonne heure. Et, dans un aphorisme, il pose qu'un
"écrivain sans dictionnaires est un cul-de-jatte
sans fers à repasser".
Alors, quand il déboule dans les mots, avec le feu
qui est le sien, cela donne (et pendant trois pages, à
lire à deux voix) : "Mots érogènes
hallucinogènes/mots bikinis gros mots pour haltérophiles/dans
le fleuve en crue de la vie//Mots rodéos et spermatiques/élastiques/mots
spectaculaires hissés au pinacle/mots chaussures
à mon pied/mots sans préservatifs/mots sprint
et marathon..."(5).
La priorité qu'il accorde, c'est une de ses natures,
à l'oralité de l'écriture est fréquemment
visible. Cette jubilation le conduit d'ailleurs, dans la
langue verte : "Parouart a bien changé mes
camerluches !/Jacter narquois n'affranchit plus !/Nib de
blesquin pour mercelot des neiges./Balpeau le jobelin/pour
les chômdus..." (6)
Autoportrait en témoin
authentique
L'implication
aurait plutôt mauvais genre aujourd'hui. Poètes
concernés par les aléas de la planète,
cachez-vous ! Simonomis n'a cure de cette morale de l'évitement.
L'homme de La villa des roses revient dans Le calfat des
étoiles (2001), dès la première page
: "Marche encore, témoin lourd, briseur d'années
(...) Porte au loin la série des blessures. Espère
la pariétaire qui jaillira de ton engrais".
Et dans Claudication du monde : :"Lance ton poème
sur la nuit des trottoirs/où crèvent les mômes/voleurs
prostitués tueurs/tués(...) Huile ton poème/jacquou
bidouillé en bouffon/la parole vit dans la tempête/qui
couve à ras de terre..." ou "Kamikazes
voitures piégées/mort lointaine"
et encore "Le chien m'arrive aux épaules/je
sers de cible au maton//Je passais/la porte ouverte j'entrais/Que
faire dans ce poème/avec mon muguet" ce
qui amène Jean Rousselot à lui écrire,
dans la lettre citée en introduction : "Ce que
tu me donnes à lire de tes "claudications"
confirme les conquêtes que ton grand talent a su te
permettre à l'intérieur comme à l'extérieur
du langage".
Le radeau de l'humour
Simonomis
qui avoue "Il ne fut pas dieu de foucades, mais
fidèle au poème contre la barbarie",
lui qui insiste "Je joue de l'insatisfait, instrument
du progrès", lui encore qui souligne "je
suis le séminol qui n'a jamais signé",
mais que l'étendue de la fêlure ne fige pas
dans une pose, une posture avantageuse, sait aussi jouer
de l'humour, de l'insolite : "Connaissez-vous l'homme
qui a laissé son nez dans son mouchoir, sa main dans
un gant, sa langue au chat, ses yeux dans ses lunettes et
ses oreilles dans sa casquette ?
Diminué physique, il attend la mort qu'il n'intéresse
plus(7).
Et sous le titre Non lieu : "Pris aux mollets par des
crampes nocturnes, le rêveur coule à pic. On
éventre le matelas, trouve son alliance avec les
titres. Sa veuve épouse le scaphandrier",
cet autre encore, baptisé Suivi : "L'âne
du santonnier est plein de musiques internes. Dans des pays
on fait du saucisson. On entend souvent braire, dans les
estomacs". Deux brefs poèmes, prélevés
à la même source.
Soliste
solidaire et entouré
L'an
dernier, à l'occasion d'une présentation(8),
Jacques Simonomis me répondait : "Je suis un
solitaire et ne me sens d'aucune "Génération".
Ou alors je suis de toutes les générations
! Je hais les troupeaux et me méfie des Groupements,
Mouvements ou Ecoles. J'essaie d'être le plus indépendant
possible tout en restant tolérant et ouvert aux autres
expressions". Le 21 février dernier, Yvette
Simonomis, compagne de toujours de Jacques, me demandait
de choisir un poème et de le lire : "Je lègue
mon ombre aux girouettes rouillées/la patte de lapin/aux
rois morts qu'on fête encore/ma première dent/au
dernier des Mohicans/rencontré hier/ma barbe à
Charlemagne/qui n'en avait pas/mon nez au tamanoir/qui n'en
voudra pas/le pyjama du fantôme/au guide des catacombes/mes
puces dressées pour le secours en mer/à la
sirène/qui m'apprit l'apnée/mes oreilles au
vent dans les voiles...(...) Mes poignées de mains/Au
manchot de Lépante/A Blaise Cendrars/ Mon nombril
au centre de la terre/ du bon Jules Verne/Mes tibias à
Jolly Rodger"(9).
Les mots de Jacques s'adressaient à une centaine
de gens venus l'accompagner au cimetière du Père
Lachaise. On l'aura compris dès l'ouverture de ce
testament ("provisoire", "inachevé",
précisait-il), Jacques Simonomis a rejoint Max Jacob,
Jean Cassou, Norge, l'ami Marcel Chinonis, Villon, Rabelais,
Jehan Rictus, Gaston Couté, gens de sa parentèle.
Ses pas dans les leurs et, dans leurs traces, les siennes,
des traces qui demeurent, pour un avenir qui ne saurait
sérieusement omettre Simonomis !
Gérard
Cléry
La NRM
n°12 - Mars 2005
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