Il
serait maladroit de faire un sort particulier au livre de Xavier Canonne,
en le déterrant de son humus natal et en l'écartant arbitrairement
de cette histoire du surréalisme comme s'il n'en était
qu'un caprice ou un accident.
Xavier
Canonne qui fut l'ami intime depuis
les années 70 de plusieurs acteurs - et non des moindres - de
cette épopée, a déjà largement contribué
à sa diffusion. Il raconte lui-même comment Marcel Mariën,
auteur en 1979 du précédent travail de référence
(L'activité surréaliste en Belgique), lui a confié
le soin d'être le chroniqueur de ce mouvement pour la fin du XXe
siècle.
Le surréalisme en Belgique
ne rougit pas d'être l'aboutissement d'une thèse en Sorbonne.
Ce qui n'est évidemment le garant de rien si ce n'est peut-être
de la rigueur que chérissent ceux qui se sont éloignés
de l'Université. Le parti pris d'actualiser ainsi, au sens fort,
le surréalisme belge, dépasse évidemment le témoignage
et le simple exercice journalistique. Il permet un éclairage
tout à la fois distancié et subjectif sur une histoire
que Marcel Mariën avait arrêtée en 1950, précisément
parce qu'il s'y jugeait trop engagé.
On ne peut mesurer l'intérêt
d'un tel ouvrage si on a oublié le caractère très
particulier des activités qui se sont développées
en Belgique à partir de 1924 sous l'impulsion, notamment, du
groupe bruxellois conduit par Paul Nougé : refus de l'écriture
automatique, expérimentation d'une pratique politique révolutionnaire,
fondée sur la complicité et l'anonymat
Ces singuliers
mots d'ordre permettront de garder les distances avec Paris. Ils assureront
une permanence remarquable que la Seconde Guerre mondiale et la Libération
refuseront au surréalisme de Breton comme à d'autres avant-gardes
fugitives.
Il fallait bien admettre que les déterminations
d'un art prétendument inspiré n'obéissaient concrètement
qu'aux désirs et aux pulsions de Wall Street. Le surréalisme
devait alors se définir vis-à-vis de la pléthore
d'initiatives spontanéistes tel Cobra, le pop art, le nouveau
réalisme, l'abstraction
Et des avant-gardes néo
Dada ou prétendument radicales telles que le lettrisme et le
situationnisme. Le fossé se creusa entre les surréalistes
belges, étrangers à des problèmes esthétiques
et moraux qu'ils récusaient en tant que tels, et le groupe d'André
Breton absolument désorganisé après le retour du
Mexique de ce dernier en 1946.
C'est
dans un tel contexte, autour des années 60, que la critique voulut
bien s'intéresser à l'"avant-garde souterraine"
belge. Mais ce fut aussitôt pour la confondre avec les multiples
revues artistiques et littéraires particulièrement abondantes
en Wallonie et qui n'eurent que des rapports circonstanciels avec le
surréalisme nougéen lui-même. Certes, ces groupes,
qu'il s'agisse de Phantomas, de Daily Bul ou de Temps
Mêlés, avaient bien retenu certaines leçons
du surréalisme et accueillaient volontiers la collaboration de
Marcel Mariën, Louis Scutenaire ou René Magritte. André
Blavier, co-fondateur de Phantomas et animateur avec Jane Graverol de
Temps Mêlés apparaît même comme l'un des premiers
historiens du surréalisme belge. Mais la plupart de ceux qui
étaient rassemblés dans cette cuménique "Belgique
Sauvage" (le label est utilisé par Koenig dès 1970)
où l'on retrouvait des anciens de Cobra, du Surréalisme
révolutionnaire, des pataphysiciens
, se tenaient prudemment
à l'écart de toute discussion théorique. Xavier
Canonne, après avoir insisté sur l'importance de ce bouillonnement,
souligne justement le rôle de Marcel Mariën au cours de cette
période. Ce dernier participe à l'une ou l'autre de ces
revues tout en défendant par ailleurs, avec opiniâtreté,
les règles et méthodes énoncées naguère
principalement par Paul Nougé. Ainsi publie-t-il dès 1954,
la revue Les Lèvres Nues et les éditions éponymes,
dans lesquelles l'expression artistique et littéraire n'apparaît
qu'en tant que moment particulier de la pratique sociale. Il y diffusera
jusqu'à sa mort en 1993, tous les textes oubliés ou inédits
de Paul Nougé et de ses amis. Il assura de ce fait le passage
entre les surréalistes d'hier et la génération
d'aujourd'hui.
Xavier
Canonne montre en quoi ces années 50-70, jusqu'alors peu étudiées,
sont déterminantes dans l'affirmation des pratiques surréalistes
en Belgique à la fin du siècle. Son étude rend
manifeste le tissu de complicités que Marcel Mariën réussit
à entretenir contre vents et marées. Heurts, malheurs
et quiproquos d'une réflexion efficace confrontée aux
modes intellectuelles du moment.
Si pour
Marcel Mariën, L'activité surréaliste en Belgique
est bien le fait de quelques jeunes gens qui partageaient un "certain
état de révolte", cette activité même
l'emporte sur le qualificatif "surréaliste" utilisé,
ici comme ailleurs, pour "les commodités de la conversation".
En revanche, Xavier Canonne, dans Le surréalisme en Belgique,
entend dégager des multiples querelles et contradictions, les
conditions et la réalisation d'un mouvement à la fois
conscient et, comme l'écrit Paul Nougé, entièrement
soumis à la menace. Ainsi se propagent cette lucide disponibilité,
cet éveil aux dangereuses exigences du monde : réaction
en chaîne, d'autant plus incisive qu'elle est directement engendrée
par la contrainte.
Au milieu
de ce foisonnement hétéroclite, la jeune garde rassemblée,
dans les années 70, derrière Tom Gutt, sous la bannière
de Vandonnah (du nom d'un guerrier indien d'Amérique) assure
la relève. C'est la jonction entre certains des animateurs historiques
(Marcel Mariën, Louis Scutenaire, Jacques Wergifosse), les jeunes
gens turbulents de Vandonnah (Tom Gutt, Roger Van de Wouwer, André
Stas
) et quelques fortes têtes de la " Belgique Sauvage
" qui permit au surréalisme belge, malgré les disparitions
et les coups de gueule, de passer le cap de l'an 2000.
Xavier
Canonne entend établir, à la suite de Marcel Mariën,
les fondements d'une économie du scandale. Grandes affaires ou
petites combines ordinaires, souvent ignorées de la presse, des
media et des artistes aux yeux obstinément clos. Il s'agit de
faire converger ces événements infimes de l'espace quotidien
afin de mieux définir l'inacceptable.
Par-delà
la richesse des anecdotes et de l'iconographie (on découvre des
toiles peu connues de Jane Graverol, Roger Van de Wouwer, les dessins
d'Armand Simon, les assemblages de Tom Gutt, les photos de Léo
Dohmen, les collages de E.L.T Mesens, Max Servais et André Stas
),
c'est l'ensemble anonyme - les derniers tracts et affiches ne sont plus
systématiquement signés - de ces refus, qui fait réellement
uvre. En fin de compte, la vague porteuse efface les discrètes
signatures de ceux qui l'ont engendrée. Et Xavier Canonne leur
cherche, aujourd'hui, des complices parmi la multitude des travailleurs
de l'ombre.
Le
surréalisme en Belgique possède au moins trois qualités
majeures.
- Le
première est de dévoiler publiquement une entreprise séditieuse
que le zapping post moderne s'emploie pudiquement à travestir
en show artistique. Avec une sincérité documentaire dont
Paul Nougé aurait apprécié l'évidence.
- La deuxième se confond
avec le souci d'exhaustivité qui traverse les 350 pages. Au point
que l'on peut rentrer dans cette histoire à n'importe quel chapitre
(certains n'y entreront jamais. Ni n'en sortiront !). Mais s'il fallait
n'en retenir qu'un, on gagnerait à s'attarder sur l'histoire
du groupe Rupture créé à La Louvière
après les grandes grèves du Borinage de 1932. A Paris,
les intellectuels n'avaient jamais trouvé d'autres perspectives
à la rencontre avec le prolétariat que la liaison calamiteuse
avec le Parti communiste. En Hainaut, par contre, le projet surréaliste,
ancré dans la rude banalité de la lutte des classes niera,
on ne peut plus concrètement, le problème de l'avant-gardisme
politique ou artistique. De la même façon, dans son ensemble,
le surréalisme belge procède de lieux communs et d'instants
dérobés qui n'ont jamais rien appris d'une quelconque
direction, fût-elle politique voire même prolétarienne.
- La
troisième, enfin, résulte du parti-pris de Xavier Canonne
de conjuguer cette aventure au présent.
Car la révolte, contrairement
à ce que des initiatives semblables tendraient à accréditer,
n'est pas une simple légende. Elle est le prolongement d'une
histoire.
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Xavier CANNONE
: Le Surréalisme en Belgique 1924-2000 (Fonds
Mercator, Bruxelles).
Ce livre a servi de catalogue à l'exposition du
Musée des Beaux-arts de Mons (mars-août 2007).
Infos : www.bam.mons.be
Beaux Arts de Mons (BAM), Rue Neuve, 8 - 7000 Mons.
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