Printemps 2017

 

16EME ANNEE N°39

Arcane 17, l'âme du rêve

     Dans un monde qui nous éclabousse de ses tendances mortifères, l'exposition Arcane 17 L'âme du rêve est placée sous le signe de vie qu'est la création artistique et poétique.
       Arcane 17 (l'Étoile du Tarot) est ce livre de renouveau qu'André Breton écrivit au Canada du 20 août au 20 octobre 1944, et publia à New York en mars 1945. Le message surréaliste est réaffirmé. Face au désastre de la seconde guerre mondiale, comme après celle de 1914-18, la révolte absolue est à l'ordre du jour :

C'est la révolte même, la révolte seule qui est créatrice de lumière. Et cette lumière ne peut se connaître que trois voies : la poésie, la liberté et l'amour qui doivent inspirer le même zèle et converger, à en faire la coupe même de la jeunesse éternelle, sur le point le moins découvert et le plus illuminable du cœur humain.

     Arcane 17 est à la fois un récit du voyage en Gaspésie avec Élisa, une prose poétique qui fait appel au rêve et à l'amour, et un essai sur la résistance, les savoirs occultés, la fraîcheur des utopies et la supériorité de la femme (déjà chantée au début du quinzième siècle par Cornélius Agrippa) :


Cette crise est si aiguë que je n'y découvre pour ma part qu'une solution : le temps serait venu de faire valoir les idées de la femme aux dépens de celles de l'homme, dont la faillite se consomme assez tumultueusement aujourd'hui. C'est à l'artiste, en particulier, qu'il appartient […] de faire prédominer au maximum tout ce qui ressortit au système féminin par opposition au système masculin, de s'approprier jusqu'à le faire jalousement sien tout ce qui la distingue de l'homme sous le rapport des modes d'appréciation et de volition. […] Que l'art donne résolument le pas au prétend " irrationnel " féminin, qu'il tienne farouchement pour ennemi tout ce qui, ayant l'outrecuidance de se donner pour sûr, pour solide, porte en réalité la marque de cette intransigeance masculine qui, sur le plan des relations humaines à l'échelle internationale, montre assez, aujourd'hui, de quoi elle est capable.

      L'enjeu naturellement n'est pas seulement dans l'art mais dans la vie. Depuis qu'André Breton a écrit ces lignes, l'Histoire n'a cessé d'agiter sa grande hache. L'Histoire, c'est la guerre. Après les tapis de bombes, l'arme atomique a été utilisée contre la population civile au Japon en 1945. Dans les années qui ont suivi, aucune ne s'est écoulée sans guerres. Les femmes et les enfants en sont toujours les premières victimes. Aujourd'hui même, des enfants meurent sous les bombes ou se noient en Méditerranée. La course aux armements se poursuit. Les relations humaines à l'échelle internationale prennent un tour de plus en plus chaotique depuis le 11 septembre 2001. "Jamais l'imaginaire autodestructeur de la civilisation ne fut aussi fécond. Elle n'en finit pas d'agoniser dans la production d'une souffrance humaine de plus en plus effroyable", note la philosophe Claire Lejeune dès 2003[1].

     L'insurrection poétique n'apporte pas de réponse miracle à ces questions. Mais en cherchant d'un même mouvement à changer la vie et à transformer le monde, le surréalisme s'appuie sur le refus radical pour poser les bases d'un changement dans l'imaginaire. Les vieux modes d'oppression et de domination se nourrissent des inégalités qui nourrissent les violences et les guerres. Mais leur reproduction n'est pas seulement le résultat de rapports de forces entre classes et groupes sociaux. Elle est aussi le produit d'un imaginaire social instituant, comme l'a bien montré Cornélius Castoriadis[2]. Il suffit de suivre un peu l'actualité pour observer le rôle du symbolique dans nos sociétés. S'émanciper de l'imaginaire dominant pour explorer d'autres voies participe ainsi d'un enjeu essentiel, la réforme de la pensée et de l'entendement humain.
     Briser le cercle qui entraîne la planète dans une course vers l'abîme n'est pas à notre portée individuelle. Mais chacun peut décider : "Je ne peux changer le monde, mais je peux commencer à le changer." (Alexandro Jodorowsky) Nous retrouvons ainsi le message de l'Arcane 17 : "Agir dans le monde, trouver sa place." Ce choix va au-delà de la liberté que s'accordent les artistes en construisant leur œuvre. Dans son dernier livre, Sur l'esthétique[3], Edgar Morin, lie le rôle des artistes aux enjeux de l'existence dans nos sociétés :

     Aujourd'hui normalisation et standardisation veulent prendre les commandes de nos vies, pour reprendre Cornelius Castoriadis, nous subissons la montée de l'insignifiance. De lourds obstacles s'opposent à l'épanouissement de la poésie de la vie. Plus nous sommes dominés par les forces anonymes, plus nous avons besoin d'y résister. La résistance nécessite des oasis de vie poétique.

     Créer des oasis poétiques, les relier, leur permettre d'apparaître d'un lieu à l'autre et d'essaimer au niveau local, tel est le projet dans lequel s'inscrit l'exposition dont ce numéro 39 de la Nouvelle Revue Moderne constitue le catalogue. Une belle occasion de fêter les 15 ans de la revue, créée en mars 2002 et désormais éditée en coopération avec Venus d'ailleurs.

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     L'Arcane 17, L'Étoile du Tarot, est la marque distinctive des éditions Venus d'ailleurs, fondées par Aurélie Aura et Yoan Armand Gil et implantées à Gajan (Gard).
     L'exposition Arcane 17 L'âme du rêve s'inscrit dans le parcours de cette étoile nomade qui évolue au cœur d'une constellation d'artistes de diverses générations liés à la fois par des affinités artistiques et affectives et par une référence partagée au surréalisme, où chacun garde son entière liberté de sentir, de penser et de créer.
     Venus d'ailleurs a ainsi organisé ces dernières années différentes expositions collectives à géométrie variable dans des lieux aussi divers que Nîmes, Gajan, Paris (galerie 17), Bruxelles, Montpellier, Uzès, Liège…

     Pour l'organisation de l'exposition Arcane 17, la rencontre avec Yveline Redlich et Marc Sinkiewicz a été déterminante. Ils ont fondé la galerie associative SAGA voici 4 ans à Hellemmes. Leur projet avance au rythme de leurs rencontres, coups de cœur et curiosités La galerie accueille avec le même enthousiasme l'artiste hellemmois ou lillois, ou celui qui vient de plus loin. Ainsi, des liens se sont tissés avec des artistes du Burkina Faso, dont la créativité actuelle est présentée au public français. Par son approche conviviale et sa volonté d'ouverture aussi bien aux habitants du quartier qu'aux artistes venus d'ailleurs, la galerie SAGA nous a paru être un lieu particulièrement adapté à une rencontre entre artistes venus du Sud, de Belgique et du Nord de la France. L'exposition, organisée en lien avec la manifestation Histoires d'en lire, bénéficie du soutien de la Mairie d'Hellemmes. En parallèle, une seconde exposition est organisée à la librairie-galerie L'Espace du dedans animée à Lille par Marie-Christine Dubois, un lieu unique orienté à la fois sur la défense d'artistes contemporains et celle de livres d'artistes.

     Les deux galeries donnent ainsi l'occasion de découvrir des photographies d'Aurélie Aura (Gajan), des collages de Claude Ballaré (Crest), des dessins de Christoph Bruneel (Mouscron), de Michel Cadière (Nîmes), de Yoan Armand Gil (Gajan), Benjamin Monti (Liège), des peintures et des assemblages de Darnish (Dieppe), des collages, dessins et gravures de Fabien Delvigne (Bruxelles), des gravures d'Agnès Dubart (Lille), de Charlotte Massip (Bordeaux), des collages de Susan Mende (Uzès), des collages et des assemblages de Nathalie Moulin (Lozère) et Yves Reynier (Nîmes), des dessins et collages de Nadine Ribault (Condette), ainsi qu'une sélection de mes collages.

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     Dans les pages qui suivent, ce numéro catalogue présente des œuvres de chacun des artistes invités. Notre pari, comme dans les expositions que nous avons déjà pu présenter ensemble, est que circule entre les œuvres, parfois mêlées ou associées, le grand souffle qui anime ces créations différentes, et qui pourtant communiquent entre elles. L'esprit du collage, qui prolonge la pensée naturelle, autrement dit la pensée magique fondée sur les inépuisables ressources de l'analogie, y est présent. Des correspondances et des connivences naissent dans ces pages. Des surprises, aussi, des découvertes, et peut-être des émerveillements vous y attendent.
     Parmi les auteurs invités, Laure Missir, dans le prolongement de notre livre Le Grain de l'ivresse, m'a fait le plaisir d'écrire spécialement un poème ancré sur l'Arcane 17. Nadine Ribault, qui est aussi sa complice (leur dernier livre, La Mâle soif de l'entêté désir, collages de Laure Missir, est un bonheur de lecteur)[4], m'a proposé un texte inédit, "Dans le noir du contre-assassinat". "Il faut danser pour rêver, inventer pour qu'existe, danser pour laisser dans le sable la trace de nos pas…" écrit-elle. Géraldine Serbourdin, quant à elle, nous offre "L'aveu du rêve" et quatre autres poèmes également inédits. Une surprise, "Rêve d'Amahani", une chanson de David Van Robays où revient comme un refrain la poupée d'Hans Bellmer. Enfin, Jacques Abeille, auquel le numéro 38 de la NRM "Écrire encore demain" est largement consacré, m'a autorisé à publier ici deux autres textes écrits à partir de collages.

     Merci à toutes et à tous, artistes et auteurs, et à celles et ceux sans qui ce projet n'aurait pu voir la lumière.

Philippe Lemaire

phil.faxàfree.fr
La NRM  n°39 - Printemps 2017

 

 

Exposition du 31 mars au 16 avril 2017
Galerie SAGA (Sinkié Art Galerie Atelier)
265 rue Roger Salengro 59260 Hellemmes-Lille
sinkie59@gmail.com

Voir l'annonce de l'expositon...

                      

Artistes et livres venus d'ailleurs
du 30 mars au 15 avril 2017

à L'Espace du dedans

28 rue de Gand 59000 Lille
www.espacedudedans.com

 

[1] Théories et pratiques de la création. Le génie de la différence nous délivra-t-il de la tyrannie de l'identité ? Cahiers internationaux de symbolisme, n° 104-105-106 (2003).
[2] Cornélius Castoriadis, L'Institution imaginaire de la société et Les Carrefours du labyrinthe (éditions du Seuil).
[3] Edgar Morin, Sur l'esthétique (Robert Laffont, 2016).

[4] Editions des deux corps 31, rue René Marcillé 35000 Rennes