Printemps 2017

 

16EME ANNEE N°38

Éloge de la pensée interdite

      La Nouvelle Revue Moderne, créée en mars 2002, fête en mars ses 15 ans. Jacques Abeille, qui avait commencé spontanément à écrire à partir de mes collages y a été présent dès le début. En 2004, un numéro désormais introuvable, Jacques Abeille. L'homme qui n'insistait pas*, lui était consacré. C'est encore à son amitié que je dois la chance de pouvoir vous présenter ici un ensemble de textes inédits qui entretiennent entre eux de fortes résonnances, bien qu'ils aient été écrits dans des circonstances et à des époques assez éloignées.

       Qu'ils traitent de l'écriture, de la peinture, de l'art et de la magie, ou encore qu'ils surgissent d'une image, ils témoignent de la forte cohérence d'une approche de la création, qui donne toute sa place au désir et explore les pouvoirs de la pensée interdite face aux prisons du langage et de l'idéologie dominante technicienne.

      Dans Pays imaginaires - lieux d'origine (2005), Jacques Abeille revient sur la naissance des Jardins statuaires et du cycle des contrées. La « légende noire » qui entoure cette œuvre, désormais disponible aux éditions du Tripode a été souvent évoquée. J'ai entendu Jacques Abeille raconter de vive voix, avec un étonnement resté intact, à quel point il fut surpris par l'émergence de ce qu'il pensait être à l'origine un simple conte philosophique. C'est un monde qui s'est déployé, et l'éclairage philosophique qui le sous-tend est d'une actualité frappante :

« … aujourd'hui on ne trouve plus qu'une minorité d'hommes capables de concevoir qu'il n'y a pas de réalité donnée et que ce qui est reçu comme réel ne peut être que le produit de notre perception. (…) Je vis avec la conviction profonde qu'une culture qui ne connaît point de limites ni ne tolère d'étrangers ne peut être que la réalisation de la barbarie en acte, autrement dit la soumission rase aux plus cruelles, aux plus abominables nécessités naturelles. »

      L'art et la magie est un texte tout aussi clairvoyant. En 1999, Guy Ferdinande avait initié avec quelques amis un échange de courriels sur le thème Éros, réalité et figuration. L'enjeu était d'élucider ce qui nous oppose aux impasses de l'abstrait contemporain. Jacques Abeille contribua à cet échange par plusieurs lettres manuscrites que Guy saisit et communication aux deux autres protagonistes, François Huglo et moi-même. Au début de l'année 2016, ayant conservé sur mon ordinateur des extraits de ses lettres, je fis à Jacques Abeille la surprise de les redécouvrir. Il a eu la gentillesse de les relire et les compléter pour en faire ce remarquable éloge de la magie et de l'efficacité symbolique, si violemment refoulés par la civilisation technicienne.

« Nous entrons dans la magie qui est pouvoir sur les êtres par le symbole mais dont les modes opératoires sont spécifiés dans chaque culture - sauf la nôtre. »

 

 

      Genèse, autre texte significatif s'attache à décrire les visions contenues dans les peintures de Pauline A. Berneron. Il s'agit cette fois d'un éloge de la puissance talismanique de l'art de peindre.

      L'écriture, enfin.

      Le jeu de l'ombre est un extrait d'un roman encore inachevé, situé dans le prolongement du cycle des contrées. On y retrouve l'atmosphère nocturne de Celles qui viennent avec la nuit, recueil de nouvelles érotiques et fantastiques récemment réédité par les éditions In8. Quelques « légendes » ou fantaisies écrites par Jacques Abeille à partir de collages viennent compléter ce dispositif destiné à favoriser « l'épanchement du rêve dans la vie réelle ».

          « Écrire encore demain ». C'est la promesse que s'est faite l'été dernier à Dieppe Géraldine Serbourdin, face à l'immensité de la mer. Le poème qui donne son thème à ce numéro est extrait d'un recueil encore inédit, Des mots posés sur le sable..

      Les dessins et peintures de Jacques Abeille, Pauline A. Berneron, Darnish, Yoan A. Gil et Nadine Ribault entrent aussi en résonnance et contribuent à faire vibrer ces pages.

      Écrire encore demain, créer encore demain, aimer encore demain… et vivre la magie.

Philippe Lemaire
phil.faxàfree.fr
La NRM  n°38 - Printemps 2017