Été 2012

 

11° ANNEE  N°30

 

Façons d'éveillés

Je préfère les non-anniversaires aux anniversaires, mais il ne vous a peut-être pas échappé qu'en 2012 la Nouvelle Revue Moderne est censée fêter ses dix ans. C'est une petite entreprise littéraire et poétique démarrée de façon non calculée en mars 2012, pour saluer une exposition collective organisée par Muriel Morel, "Sous l'œil de la chouette". Tiré à 40 exemplaires, son premier numéro comportait quelques textes inédits, des collages… C'est ainsi qu'a démarré cette "revue lunaire"… qui compte maintenant 30 livraisons (auxquelles il faut ajouter 5 numéros hors-série).
     L'idée de composer un numéro anthologique pour cet anniversaire était tentante, mais l'archivage de tous les numéros de la revue avec de larges extraits des sommaires sur le site de la NRM répond déjà un peu à cela. J'ai fait un autre choix : celui de mêler de nouveaux auteurs à des fidèles de la revue.
     Daniel Martinez est l'éditeur de Diérèse, superbe revue-livre poétique et littéraire qui vient de publier son n°55 sur 270 pages ! Il est aussi écrivain et poète. Son dernier recueil de contes, Terre entière (Tunis, Sousse et Djerba), aux éditions des Deux-Siciles est particulièrement attachant. Son texte inédit "Kakusha" - "éveillé" en japonais - ouvre ce numéro.
     À la fois rêveurs et éveillés - rêveurs éveillés - tels m'apparaissent les auteurs réunis ici.
     Jacques Canut publie régulièrement ses poèmes dans des "Carnets confidentiels" joliment édités et illustrés. De petites merveilles qu'il diffuse aux quatre vents. J'ai choisi d'illustrer les textes inédits qu'il m'a confiés avec trois petits dessins que Popofe m'a adressés en janvier, "quelques esquisses que j'ai faites il y a bien longtemps pour d'éventuelles peintures qui n'existeront que dans ma tête", m'a-t-elle écrit.
     J'ai fait la connaissance de Victoria Thérame à l'occasion d'une lecture de ses textes par René Haddad à la Halle Saint-Pierre, pour la présentation de la revue Empreintes. Elle est l'auteure de L'Escalier du bonheur (éd. Des Femmes 1981) et d'une vingtaine de livres. Je suis tombé sous le charme du dernier paru, Mademoiselle sème l'amour (éd Wallâda, 2011). En réponse à ma demande d'un texte inédit, Victoria Thérame a eu la gentillesse d'écrire " Foule en fête " spécialement pour les lecteurs de la Nouvelle Revue Moderne.
     "Jubilations de mai" de Bruno Sourdin est aussi un texte composé pour ce numéro. Il était initialement intitulé "Jubilations de mars".
     Fan de littérature, bibliophile mais aussi amateur des catalogues de ventes de livres anciens qui m'apparaissent comme des extensions de ma propre bibliothèque, je ne pouvais qu'être sensible au "Reliquaire" proposé par Gérard Farasse, de courts textes pleins d'humour construits autour de reliques de Flaubert, Proust et Céline. Je vous laisse donc savourer.

     
"Made of Wood, Charged with Electricity" de Rita Rasmussen est arrivé du Canada comme un petit bonheur. Après une exposition de collages sur internet, nous avions convenu de faire un échange. J'ai envoyé à Rita Rasmussen un de mes tableaux qu'elle avait repéré sur le site animé par Dale Copeland (www.virtual.tart.co.nz). Elle m'a adressé en retour deux collages accompagnés de ce récit que Roxane Lemaire a traduit.
     Katia Roessel
m'a proposé quelques poèmes regroupés ici sous le titre de son recueil paru en 2010 aux éditions Mémoire vivante, Les Yeux Bandés. J'ai été particulièrement sensible à son propos sur "l'irrêvé" : ce qui n'a pas été rêvé corrode, "parce que à la différence du rêve, il est le contraire de la réalisation d'un désir."
      Eve Patris-Shaeffer note ses rêves depuis l'âge de 13 ans. Elle les a regroupés dans des cahiers illustrés de collages, qu'elle m'a donné le privilège de pouvoir feuilleter, les mains gainées de gants blancs comme on en use dans les musées. Je la remercie pour m'avoir laissé entrevoir son univers onirique au moment où je dévoile un peu le mien dans Colleur de rêves.
     L'article de Patrick Lepetit sur Tout disparaîtra d'André Pieyre de Mandiargues s'inscrit dans le prolongement de son dernier livre Le Surréalisme, parcours souterrain, (éd. Dervy, 2012) et de Surréalisme et ésotérisme (chroniqué dans la NRM n°23). C'est une fascinante exploration des richesses issues de l'imprégnation ésotérique des surréalistes…
     Pour clôturer ce numéro, une petite Utopie de Thomas Vinau vient nous rappeler que concilier le rêve et le réel dans notre société soumise aux pouvoirs amers n'est pas si évident :
Bien sûr
que ce serait super coolos
d'avoir des super-pouvoirs
sans que le pouvoir amer
nous transforme en super-cons.

    Préserver la part du rêve et se tenir en éveil pour garder intacte notre capacité d'émerveillement n'est pas seulement un enjeu pour la poésie et la création face à la domestication de l'imaginaire.
     Dans un monde où le mental est de plus en plus asservi et où le Petit Prince finit par se pendre, c'est aussi un enjeu pour la vie courante.

PHILIPPE LEMAIRE