Printemps 2008

 

7° ANNEE  N°21

 

Robert Rapilly

Xylipolexe
& autres choses très invraisemblables

 

C'est un sonnet sonnant très bizarre qui m'a révélé l'existence d'un poète entièrement différent nommé Robert Rapilly. Il avait offert à Marie Groëtte un poème qui pouvait se lire dans les deux sens, du haut vers le bas, et du bas vers le haut - un sonnet palindrome. Ma curiosité fut attisée, et j'eus immédiatement envie de faire la connaissance de son auteur. Les gens qui offrent à leurs amis des poèmes qu'ils ont composés eux-mêmes sont assez rares ; ceux qui passent des jours à fignoler une brassée de vers à seule fin d'inviter une unique lectrice au plaisir de les parcourir dans un sens puis dans l'autre le sont encore plus. Notre première rencontre autour d'une table amicale a été suivie de bien d'autres. J'ai découvert au fil du temps les talents multiples de Robert, animateur d'ateliers d'écriture, artiste, peintre, colleur, musicien, chroniqueur de jeux littéraires dans Les Nouvelles d'Archimède, initiateur d'expositions et d'initiatives culturelles aux allures d'utopies, comme les lectures-performances de "Zazie mode d'emploi" à Lille et à Lomme, et cette miraculeuse semaine en "Pirouésie" en juillet 2007 sur ses terres natales de la Manche. "Chaque vrai poète porte en lui un univers singulier qu'il voudra délivrer" notait Jean Follain, originaire comme lui de cette presqu'île du Cotentin qu'hantent encore les sorciers et les goublins, aux abords de la lande de Pirou et du Moulin de Beauregard.

Ce qui est extraordinaire chez Robert, c'est que derrière ses airs de rêveur, se cache un authentique rêveur, un rêveur absolu. Il lui arrive de faire semblant de s'en excuser car il sait qu'il emprunte, sans le moindre prétexte utilitaire, un itinéraire peu commun. Si sa modestie le retient souvent de se mettre en avant, c'est que la générosité qui l'incite à partager le bonheur de créer est toujours son réflexe premier. La poésie selon Robert Rapilly doit être faite par tous et offerte à tous.

Lorsqu'il se prend à ne pas rêver, Robert s'applique à lui-même la discipline. Il en parle avec un ton de respect presque religieux dans la voix. Il l'appelle "la Contrainte". Elle est à ses yeux à l'exact opposé de la Nécessité qui entrave la création et tue le rêve : c'est la grande libératrice. Robert partage cette foi avec les "oulipophiles", les adeptes des pratiques oulipiennes (du nom de l'OULIPO - Ouvroir de Littérature Potentielle, créé par François Le Lionnais et Raymond Queneau à Cerisy en 1960). A la différence de bien d'autres, les oulipophiles sont des supporters très supportables. Ils ne cassent pas les fauteuils lors des lectures organisées à la BNF. Ils ne se répandent pas dans les rues en beuglant "Chie cagot !" à chaque nouvelle trouvaille de Jacques Roubaud et ses affidés. On s'habitue très vite à leurs manies. On se range à leurs déraisons. On se prend même à en redemander. Dois-je en dire beaucoup plus ? Je cède à Jacques Jouet, membre de l'Ouvroir, le soin de d'introduire le travail poétique de Robert Rapilly, dont c'est ici le premier recueil.

PHILIPPE LEMAIRE