Préserver la part du rêve,
récupérer la clé des songes et l'utiliser
pour ouvrir de nouvelles portes à l'esprit, c'est sans
doute ce qui nous rapproche tous, revuistes, artistes, auteurs
et lecteurs. L'acte de créer peut se suffire à
lui-même ; le fait de publier permet de partager. Même
avec une diffusion modeste, une revue crée une forme
de reliance qui offre l'opportunité d'échanges
d'une qualité différente des relations ordinaires.
"On peut connaître quelqu'un depuis vingt ans.
S'il écrit, ce sera toujours une surpris", notait
Raymond Queneau. Comme le livre, la revue s'aventure
dans les profondeurs de l'esprit. Son action est souterraine.
Elle éclaire de sa petite lueur le labyrinthe du monde
et chacun en fait l'usage qui lui convient. Une revue est
une chance, une ouverture, mais aussi un état d'esprit,
et cet autour de cet état d'esprit qu'auteurs et lecteurs
se rencontrent. Ceux qui participent à cette "Jam
session" de nos quatre revues ont suffisamment en commun
pour que leurs petites musiques se mêlent gaiement dans
cette partition pour photocopieuse.
Si je regarde un peu
en arrière, il me semble que j'ai le goût des
revues depuis l'enfance. Ce fut d'abord un jeu. Mes premières
publications s'intitulaient La Loupe (journal copié
au papier carbone, j'avais onze ans) et Le Furet (publié
à dix exemplaires à l'aide de tampons et d'une
imprimerie enfantine). De son côté,
Richard Bell, mon correspondant anglais, publiait
HJNC news (Horbury Junior Naturalist Club) pour 17
lecteurs. C'est un peu ce projet qu'il poursuit avec www.wildyorkshire.co.uk, un site
remarquable qui mêle à la manière de Thoreau
notes autobiographiques et observation de la nature. Mes tentatives
suivantes se voulurent plus sérieuses et plus politiques.
Elles eurent pour titres Contact, La Lutte,
Spartakus, L'Anti-mythes
Au début
des années 90, retour au ludique avec l'aventure de
Staccato, " fanzine explicite " édité
avec la complicité de Pat Chronic et couplé
avec une émission du même nom sur RCV, la radio
rock de Lille. Puis, à l'invitation de Guy Ferdinande,
une "chronique inactuelle" dans L'Igloo dans
la dune, interrompue par l'arrêt de la revue, à
l'approche du fascinant triple zéro de l'an 2000.
Revue de création
littéraire, La Nouvelle Revue Moderne
est née en mars 2002, à l'occasion d'une exposition
de sculptures et de collages organisée dans l'atelier
de Marie Groëtte. L'exposition,
comme ce premier numéro, étaient placés
"sous l'il de la chouette". Sous le regard
attentif de l'oiseau de Minerve la NRM
a publié depuis plus de vingt numéros (dont
5 hors-série), 50 auteurs, 150 collages et plus de
1000 pages. Si je conçois seul la revue, son existence
ne serait pas possible sans la participation amicale et active
des auteurs dont beaucoup sont présents et répartis
dans ce numéro. Les textes publiés dans la
NRM
sont presque tous inédits, et toutes les illustrations
(dessins ou collages) sont des images originales.
A nos minuscules projets,
le web donne aujourd'hui la possibilité de rencontrer
des yeux et des esprits dans le monde entier. La Nouvelle
Revue Moderne y est présente grâce
à Fabrice Arquisch, qui a créé
une version parallèle de la revue en réalisant
une création graphique à part entière.
Le site http://nouvellerevuemoderne.free.fr
est régulièrement actualisé, avec son
agenda, ses expos, ses chroniques, ses archives et ses pages
auteurs, et vous propose des centaines de textes et d'images.
A côté du modeste tirage de la version "papier",
il fait presque figure de média : plus de 200 visites
par jour, entre 6000 et 8000 par mois, près de 100
000 sur un an. L'impact se mesure à différents
retours ou échanges de liens. Il est encourageant,
mais ne constitue pas une raison suffisante pour abandonner
la version imprimée de la revue. La navigation et la
lecture vont très bien ensemble mais ne se confondent
pas tout à fait.
Avec Cécile Odartchenko,
Popofe, Gérard Farasse, Jacques Abeille, Christoph
Bruneel, Marie Ginet, Marie Groëtte, Jean-Michel Aubevert,
Alfonso Jimenez, Jean L'Anselme, Ericle Mimosa et Dan Ferdinande,
ce mini-numéro de la NRM au sein
d'un maxi-cahier vous invite à voguer entre humour
et poésie. Ces auteurs font tous un peu confiance aux
pouvoirs du rêve, et c'est ce qui les réunit
ici. Je vous invite à tourner avec eux les pages de
"La liseuse de rêves".
PHILIPPE LEMAIRE
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