Automne 2006

 

5° ANNEE  N°17

 

La liseuse de rêves


Bienvenue dans ce numéro d'automne de La Nouvelle Revue Moderne, inséré exceptionnellement dans un cahier de 130 pages intitulé "JAM-SESSION". Réunir quatre revues en une seule, c'est l'invitation que nous a adressée Guy Ferdinande, en nous proposant de réaliser un numéro commun de Comme un terrier dans l'igloo, L'Echappée belle, La Nouvelle Revue Moderne et Ozila. Il existe certainement entre nous quantité de points communs liés à la proximité géographique, à l'amitié, et à une certaine idée de la littérature et de la poésie. Pour ma part, je suis depuis longtemps avec attention la "joyeuse marotte infraréaliste" de Guy Ferdinande qui écrit, dessine et publie une revue sous diverses formes depuis plus de vingt ans. J'aime la persévérance tranquille de Nadège Fagoo et Laurence Durey, qui poursuivent l'aventure de L'Echappée belle depuis une dizaine d'années. Et j'apprécie fort que les animateurs d'Ozila, aient nommé leur association "Le Vaste songe". Dans un article publié sur le site d'Ozila, Ada Bessomo donne tout son sens à ce choix en citant ces propos d'Eugène Ebodé, sportif d'origine camerounaise devenu écrivain: "La poésie est une fabrique de la résistance, du lendemain. Elle déverrouille les horizons cadenassés, récupère la clé des songes."

Préserver la part du rêve, récupérer la clé des songes et l'utiliser pour ouvrir de nouvelles portes à l'esprit, c'est sans doute ce qui nous rapproche tous, revuistes, artistes, auteurs et lecteurs. L'acte de créer peut se suffire à lui-même ; le fait de publier permet de partager. Même avec une diffusion modeste, une revue crée une forme de reliance qui offre l'opportunité d'échanges d'une qualité différente des relations ordinaires. "On peut connaître quelqu'un depuis vingt ans. S'il écrit, ce sera toujours une surpris", notait Raymond Queneau. Comme le livre, la revue s'aventure dans les profondeurs de l'esprit. Son action est souterraine. Elle éclaire de sa petite lueur le labyrinthe du monde et chacun en fait l'usage qui lui convient. Une revue est une chance, une ouverture, mais aussi un état d'esprit, et cet autour de cet état d'esprit qu'auteurs et lecteurs se rencontrent. Ceux qui participent à cette "Jam session" de nos quatre revues ont suffisamment en commun pour que leurs petites musiques se mêlent gaiement dans cette partition pour photocopieuse.

Si je regarde un peu en arrière, il me semble que j'ai le goût des revues depuis l'enfance. Ce fut d'abord un jeu. Mes premières publications s'intitulaient La Loupe (journal copié au papier carbone, j'avais onze ans) et Le Furet (publié à dix exemplaires à l'aide de tampons et d'une imprimerie enfantine). De son côté, Richard Bell, mon correspondant anglais, publiait HJNC news (Horbury Junior Naturalist Club) pour 17 lecteurs. C'est un peu ce projet qu'il poursuit avec www.wildyorkshire.co.uk, un site remarquable qui mêle à la manière de Thoreau notes autobiographiques et observation de la nature. Mes tentatives suivantes se voulurent plus sérieuses et plus politiques. Elles eurent pour titres Contact, La Lutte, Spartakus, L'Anti-mythes… Au début des années 90, retour au ludique avec l'aventure de Staccato, " fanzine explicite " édité avec la complicité de Pat Chronic et couplé avec une émission du même nom sur RCV, la radio rock de Lille. Puis, à l'invitation de Guy Ferdinande, une "chronique inactuelle" dans L'Igloo dans la dune, interrompue par l'arrêt de la revue, à l'approche du fascinant triple zéro de l'an 2000.

Revue de création littéraire, La Nouvelle Revue Moderne est née en mars 2002, à l'occasion d'une exposition de sculptures et de collages organisée dans l'atelier de Marie Groëtte. L'exposition, comme ce premier numéro, étaient placés "sous l'œil de la chouette". Sous le regard attentif de l'oiseau de Minerve la NRM a publié depuis plus de vingt numéros (dont 5 hors-série), 50 auteurs, 150 collages et plus de 1000 pages. Si je conçois seul la revue, son existence ne serait pas possible sans la participation amicale et active des auteurs dont beaucoup sont présents et répartis dans ce numéro. Les textes publiés dans la NRM sont presque tous inédits, et toutes les illustrations (dessins ou collages) sont des images originales.

A nos minuscules projets, le web donne aujourd'hui la possibilité de rencontrer des yeux et des esprits dans le monde entier. La Nouvelle Revue Moderne y est présente grâce à Fabrice Arquisch, qui a créé une version parallèle de la revue en réalisant une création graphique à part entière. Le site http://nouvellerevuemoderne.free.fr est régulièrement actualisé, avec son agenda, ses expos, ses chroniques, ses archives et ses pages auteurs, et vous propose des centaines de textes et d'images. A côté du modeste tirage de la version "papier", il fait presque figure de média : plus de 200 visites par jour, entre 6000 et 8000 par mois, près de 100 000 sur un an. L'impact se mesure à différents retours ou échanges de liens. Il est encourageant, mais ne constitue pas une raison suffisante pour abandonner la version imprimée de la revue. La navigation et la lecture vont très bien ensemble mais ne se confondent pas tout à fait.

Avec Cécile Odartchenko, Popofe, Gérard Farasse, Jacques Abeille, Christoph Bruneel, Marie Ginet, Marie Groëtte, Jean-Michel Aubevert, Alfonso Jimenez, Jean L'Anselme, Ericle Mimosa et Dan Ferdinande, ce mini-numéro de la NRM au sein d'un maxi-cahier vous invite à voguer entre humour et poésie. Ces auteurs font tous un peu confiance aux pouvoirs du rêve, et c'est ce qui les réunit ici. Je vous invite à tourner avec eux les pages de "La liseuse de rêves".

PHILIPPE LEMAIRE

Le prochain numéro de la NRM, Chair de peau , paraîtra en décembre 2006.