Création-récréation

 

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Avril 2009
 
Les Revues
 

- CAHIERS DE L'UMBO (Hors série, mars 2009) Toujours entourés de beaucoup de soin et de délicatesse, les Cahiers de l'Umbo tentent l'expérience de la couleur en couverture et du grand format pour donner aux images - dessins et collages - autant de poids qu'aux textes. L'alchimie qui réunit artistes et poètes fonctionne plutôt bien et le numéro se termine avec beaucoup de grâce sur une confrontation entre La Dame à l'hermine de Léonard de Vinci et un poème en prose d'Anne-Marie Beeckman.

 

- Comme un terrier dans L'IGLOO DANS LA DUNE n°94 (janvier 2009): " Nos cinémas " + un DVD fait maison.  Avec ce nouveau numéro de presque 100 pages, la "joyeuse marotte infraréaliste" de Guy Ferdinande retrouve l'aspect foisonnant qu'elle avait juste avant l'an 2000. Cette revue, née en 1984, n'a cessé d'évoluer et de se métamorphoser, changeant de titre ou de formule tout en restant fidèle à elle-même. Elle entre dans sa 25ème année, et Guy Ferdinande consacre son éditorial à s'interroger sur les raisons qui l'ont poussé avec une telle constance dans cette entreprise, entrelacée avec son activité de poète et de créateur. "Les raisons succéderaient aux raisons sans rendre compte de la seule qui importe à mon sens, d'être dedans, dans un territoire, dans un monde, et qui dira que ce n'est pas être dans le monde que d'être dans un monde ?"
"Nos cinémas", magnifique sujet pour ce numéro. Thème qu'on pourrait croire usé et qui est pourtant l'occasion de contributions aussi diverses qu'étonnantes. On retrouve deux des participants, Denis Ferdinande et Mimosa dans un DVD joint à la revue. Le film témoigne aussi du "coup de poing poétique" des "Vilains bonhommes et Très vilaines bonnes femmes" à Wazemmes le 19 décembre dernier. De même que François Huglo, qui n'aime le cinéma qu'avec modération, je me vois interpellé après coup : "Malheureusement, ils ne le disent pas. J'aurais aimé recevoir un texte - sorte de pamphlet - contre le cinéma", écrit Guy dans un courriel à Michel Debray. Soyons clair. Un cinéma sans paroles me conviendrait assez bien. Je ferais volontiers un éloge du cinéma muet, par opposition à l'envahissement des images télévisuelles. J'ai adoré, par exemple, les films-poèmes de Guy Maddin, "La Musique la plus triste du monde" et "Des trous dans la tête". Je me dis que je pourrais vivre aussi avec un cinéma sans images qui bougent ; je préfère nourrir mon imaginaire en élisant les miennes, généralement fixes, et en les recomposant à ma façon, plutôt que de me voir imposer celles qui déferlent sur l'écran. Mais en fin de compte, le cinéma, qu'on l'aime ou non, n'est-il pas d'abord une invitation à se faire son propre cinéma ? C'est ce que montre ce numéro de L'Igloo dans la dune, belle collection de films individuels bourrés d'images mentales venues d'autant de mondes intérieurs.

 

- Contre-allées n°23-24 (Automne-hiver 2008) La revue de poésie contemporaine animée par Romain Fustier et Amandine Marembert fête ses dix ans avec ce numéro double où retrouve à leurs côtés Henri Droguet, Raymond Farina, Cécile Guivarch, Romain Verger, Jacques Allemand, François Coudray, Emmanuel Flory, Josiane Gelot, Marc Gratas, Alain Guillard, Daniel Labedan, Michael Martial, Sébastine Ménard, Gwénola Morizur, Etienne Paulin et Aurélien Perret.

 

- L'OISEAU ROUGE n°20 (décembre 2008) Quelques spécimens de L'Oiseau rouge, revue manuscrite au tirage confidentiel, ont franchi la rue de l'Impératrice, à Berck-sur-mer, pour atteindre la Villa Omer où Grégoire le Nabatéen, correspondant local de la NRM, coule une vie de chat de bibliothèque tout en surveillant du coin de l'œil les volatiles littéraires les plus improbables. Superbement écrit, plein de rage, d'humour et de créativité, il serait dommage que L'Oiseau rouge restât inaperçu.

  • Julien Carré - 64 rue du Haut Banc 62600 Berck-sur-mer.
 

- PASSAGES n°13 (Nov-déc 2008) Automne spécial ! Revue photocopiée, remasterisée, revue qui "nettoie de la poésie" en souriant, Passages est un de ces lieux où "la rage de l'expression" nous met en présence de la poésie vivante. Rien à voir avec le ronron subventionné, labellisé et respectueux. Chaque numéro, bourré de collages et de poèmes est livré avec un recueil inédit, en l'occurrence L'Os du cosmos, suivi de Mon étui pénien d'Ivar Ch'Vavar. "Vieilles hardes de la lune, loques raidies"… Chef d'œuvre intégral ! Comme si ça ne suffisait pas, Christian Edziré Déquesnes publie MAINTENANT UNE SECONDE REVUE, Medicament-blues & classic-moderne-therapy. Histoire de mordre encore plus fort à la racine d'une musique aussi indispensable dans nos vies que l'usage des mots et le son saturé d'une guitare électrique…

  • Christian-Edziré Déquesnes : 15, rue du général Delestraint 59230 Saint- Amand-les-Eaux - (30€ pour un an ou 40 € pour les 2 revues).
 

- LE ROCAMBOLE n°41 (hiver 2007) : Edouard RIOU, illustrateur. Bien oublié aujourd'hui, Edouard Riou fut un des grands illustrateurs romantiques. C'est à lui qu'on doit le portrait du professeur Otto Lidenbrock (dans Voyage au centre de la terre), dont la maigre silhouette apparaît dans plusieurs tableaux de Paul Delvaux. Ses dessins apparaissent dans de nombreux romans populaires, dans les premiers Jules Verne, et surtout dans la plus belle revue illustrée du XIXe siècle, Le Tour du Monde. Jacques Sternberg lui rendit hommage dans deux beaux livres devenus introuvables, Le Tour du monde en 300 gravures (Planète, 1972) et Rêver la mer (Gallimard, 1979). De format trop modeste pour restituer toute la beauté de ses gravures, ce numéro de Rocambole est cependant l'ouvrage le plus complet sur l'œuvre foisonnante de Riou, visionnaire capable de faire revivre la profusion végétale de l'Amazonie ou l'effroi des tempêtes aux abords des pôles en n'ayant presque jamais quitté Paris. C'est avec Riou que la gravure sur bois debout atteint son apogée… et qu'on assiste à sa chute, la copie de pâles photographies lui étant progressivement imposée au détriment des œuvres d'imagination qu'il concevait à partir des croquis et des récits des voyageurs. En pleine montée des colonialismes et de l'utilitarisme, Edouard Riou est de ceux qui ont chanté le monde dans sa beauté primitive, et tenté d'y sauver la part du rêve. Merci aux animateurs du Rocambole pour ce passionnant travail qui éclaire un aspect peu connu de l'histoire de l'imaginaire et de ses miroirs.

 
- SUPERIEUR INCONNU Numéro spécial sur la vie rêvée (printemps-été 2008) En ouverture de ce numéro de Supérieur Inconnu, Sarane Alexandrian nous dit comment avoir une vie rêvée. Sans point d'interrogation. L'expression est courante, l'enjeu est de la transcrire dans sa propre vie. Au-delà de l'accomplissement des rêves de réussite individuelle que chacun peut nourrir, Alexandrian souligne qu' "il existe une façon plus magistrale d'avoir une vie rêvée : s'appuyer sur le rêve pour agir, en le portant au paroxysme, ce qui engendre les œuvres des créateurs de l'imaginaire absolu et les actions héroïques des aventuriers de l'idéal. Par ailleurs, un mystique, un amoureux ou un révolutionnaire intensifie parfois son rêve au point de le substituer à la réalité même." Excellent programme, quand on y pense, et qui ne fut pas seulement celui des surréalistes. Comment le vivre aujourd'hui ? C'est le sujet de ce numéro, qui vise à "définir la part du rêve dans le réel quotidien". Du "mage" Joséphin Péladan à Olivier Salon, les réponses diffèrent mais sont toutes passionnantes… Alexandrian cite Lumière cendrée, de Claude Silve (1941), recueils de ses rêves pendant douze ans. Elle a retenu ceux qu'elle appelait "les Tarots du sommeil", parce qu'ils étaient chargés de sens par "une lumière d'âme" comparable à la "légère teinte gris violacée de la partie voilée de la lune en son premier quartier."
  • Supérieur Inconnu - 9 rue Jean Moréas, 75017 Paris. - 01 47 54 93 06 - (12 €).
 

- VERSO 136 Transports & dossier Jean TARDIEU (mars 2009) Ce numéro s'ouvre sur un dossier Jean Tardieu et réunit au total une trentaine d'auteurs. J'ai été heureux d'y retrouver la signature de Marc Tison et celle, devenue trop rare, de José Millas-Martin.

  
 
 
 
Les livres
 

- Temps gelé, de Thierry ACOT-MIRANDE Souvent présent dans les pages des anthologies de Monsieur Toussaint Louverture, Thierry Acot-Mirande signe avec Temps gelé son premier recueil de nouvelles et Novellas. Avec sa couverture bleu et argent ce livre est un objet magnifique, presque intimidant, comme les végétaux chargés de givre en hiver. Mais il faut ouvrir ces pages pour découvrir une écriture magnifique…

  
 
- Le Sourire de Cézanne, de Raymond Alcovère, est un roman philosophique. L'amour absolu entre Léonore, qui prépare un livre sur Cézanne, et un tout jeune homme, Gaétan, que l'on voit dormir tranquillement pendant qu'elle écrit, ne couve aucun drame. Juste une histoire intense, et aussi improbable que la peinture de Cézanne. Malgré ceux qui le poussent à rompre avec une femme plus âgée, Gaétan se sent bien dans cette relation a priori bancale. "L'amour est improbable, certains ne le discernent, ne l'imaginent même pas. Comment le pourraient-ils ? Ainsi passe-t-on inaperçu quand on est heureux."
Léonore met en exergue de son livre une citation de Heidegger : L'acte de voir ne se détermine pas à partir de l'œil, mais à partir de l'éclaircie de l'être. Déjà, le peintre Caspar David Friedrich recommandait d'ouvrir l'œil de l'esprit, bien plus que l'œil physique. Cette éclaircie de l'être est le sujet du roman. "Les grand peintres apportent toujours un supplément d'âme, un regard inédit. Un jour nouveau nous est donné, une possibilité de vivre." Une possibilité pour le bonheur.
 

- Les Fosses célestes, d'Odile COHEN-ABBAS "Un pays où la mort n'existe pas…" tel est le lieu où Odile Cohen-Abbas situe cette fiction qui rompt avec les platitudes du roman réaliste. Une postface de Sarane Alexandrian approuve et labellise cette fantasmagorie qui vise à créer "une surréalité intégrale".

 

- Pierre PEUCHMAURD et Jean-Pierre PARAGGIO : La Nature chez elle La magie des collages de Jean-Pierre Paraggio a fait surgir huit textes courts, somnambuliques, de Pierre Peuchmaurd. Le regard hésite à se poser d'abord sur les images, sur les textes, ou sur les grandes marges blanches qui forment leur écrin. On n'échappe pas à la fascination de ce livre-poème dont la beauté vous absorbe.

 

- Jean-Michel ROBERT : Zoopsies (Gros Textes) Zoopies : hallucinations visuelles constituées d'animaux. Jean-Michel Robert fait défiler sous nos yeux étonnés une guirlande de bestioles oubliées par Noé.

 
- Louis SAVARY : Voici venu le temps des larmes (Arcam) Louis Savary aime jouer avec les mots et les choses qu'ils désignent, ceux de la scène en particulier. Il les observe longuement, les prend et les reprend, les polit sous tous les angles et les fait miroiter comme des diamants. Dans ses livres, imprimés en gros caractères comme pour conjurer la malvoyance présumée du lecteur, on ne trouve qu'une phrase par page. Une phrase ailée comme les aimait Karl Kraus : "Un aphorisme n'a pas besoin d'être vrai, il doit survoler la vérité. D'un bond, d'une phrase, il doit sauter par dessus et la dépasser." En couverture, une tête de mort avec un nez rouge de clown. Le décor est posé. Voici les trois coups. Un clown surgit sur la scène et proclame : "Le rire universel qui n'a cure des cultures est de tous les langages sans doute le plus pur". Le rire qui, comme la douleur, peut nous tirer des larmes. "Un jour, nous dit-il, je réaliserai une mosaïque tout en éclats de rire". Ecoutons-le faire briller ce rire qu'il dispute à la camarde : "Si Dieu riait de temps à autres il me semble qu'on l'entendrait." Voici donc un petit chef d'œuvre de l'humour noir, cet humour dont on sait qu'il n'est pas prioritairement destiné à faire rire.
  • Arcam - 40, rue de Bretagne 75003 Paris - (15 €)

 

 

- Annie WALLOIS : Sans penser (L'Oursine) Un soir de décembre, j'ai entendu Annie Wallois égrener courageusement les aphorismes de ce recueil dans un bar enfumé de Wazemmes malgré le brouhaha du juke-box et l'agitation du patron, tandis qu'une chanteuse calabraise piétinait devant nos tables avec sa sébile en attendant le moment de nous seriner "Ô sole mio". Surprenante soirée ! Je peux témoigner que même dans la tempête, les mots d'Annie Wallois combinent le son et le sens pour aller droit au cœur.

  • L'Oursine - 16 rue Delvau 59000 Lille - (5€).
PHIL FAX
 
 
Création-Récréation - Juillet 2008