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Chronique inactuelle
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Le Petit manuel de littérature d'outre-tombe concocté par Stéphane Mahieu, détenteur de la chaire de sciences sociales et culinaires au Collège de Pataphysique, se présente comme une "anthologie des tables tournantes", reliée par le fil rouge d'une courte histoire de la littérature spirite.
Stéphane Mahieu, qui semble avoir pris grand plaisir à réunir ces textes, s'excuse pourtant dès l'abord d'éclairer ce coin obscur de la Biblio-thèque : " Les productions de la littérature d'outre-tombe sont souvent décevantes, surtout si on les compare avec les admirables floraisons graphiques de l'art médiumnique. Il n'y a pas d'équivalent d'Augustin Lesage ou de Fleury-Joseph Crépin chez les écrivains spirites ", annonce-t-il d'entrée. Si l'on se souvient que les spirites ont inventé l'écriture automatique, qui a joué le rôle que l'on sait pour les surréalistes, ce constat est hautement paradoxal. Avant d'aller plus loin, j'ai éprouvé le besoin de jeter un il - mon troisième il, naturellement ! - dans un des bréviaires du spiritisme, Dans l'invisible, où Léon Denis aborde le phénomène de l'écriture indirecte des Esprits. Il cite notamment l'exemple d'Arcanes de la nature (1860), un livre écrit la nuit sous l'inspiration des Esprits par Hudson Tuttle, un garçon de ferme de Cleveland (Ohio) âgé de 18 ans, sans éducation ni instruction. "Il n'avait à sa portée ni livres, ni bibliothèques, car ses parents demeuraient dans les bois et ne s'occupaient que d'agriculture", rapporte Léon Denis, qui ajoute que l'ouvrage devançait de beaucoup les connaissances scientifiques du temps. Léon
Denis distingue deux types d'écriture inspirée, l'écriture
directe ou psychographie, et l'écriture médianimique.
" De ces deux modes de manifestations, la psychographie est certainement
le plus sûr, le plus facile à contrôler ", note-t-il.
" Il peut se produire en pleine lumière. Le médium
reste dans son état normal, libre de ses agissements, au point
qu'il ne semble jouer aucun rôle dans la production du phénomène.
Des feuilles de papier étant placées dans des boîtes
ou des tiroirs fermés à clés, ou bien entre des
ardoises doubles, ficelées et scellées, sont retrouvées
couvertes d'écriture et signées de noms de personnes défuntes.
" Le cas est néanmoins assez rare. Écrits posthumes Victor
Hugo, un des premiers, n'avait pas hésité à convoquer
de grands esprits du passé dans sa maison de Jersey. Aristophane,
Eschyle, Molière, Shakespeare et André Chénier
notamment ont répondu à son invitation et laissé
divers témoignages écrits de leur visite. En France, La
Revue spirite, fondée en 1858, s'est fait régulièrement
l'écho de communications de l'au-delà. A partir de 1865,
elle publie régulièrement des poèmes d'outre-tombe
d'Alfred Musset (disparu en 1857).
L'empressement
de certains Esprits à communiquer leurs pensées et leurs
dernières créations suscite d'autant plus d'intérêt
que l'authenticité du message est attestée. Les objections
ne manquent pas. La plus évidente est celle de la langue, mais
il y a toujours une explication : si Plotin parle français, lorsqu'il
se manifeste dans une séance tenue à Toulouse en 1913,
c'est tout simplement parce que Fontenelle était une de ses réincarnations.
Dans Le Livre des médiums, Allan Kardec émet l'hypothèse
d'une langue universelle de la pensée, immédiatement traduite
dans le vocabulaire du médium. Des esprits chagrins (j'écris
ici " esprits " avec un petit " e ") mettent aussi
en cause le contenu du discours des Esprits : il leur semble inconcevable
que Voltaire ou Lénine aient pu exprimer après leur mort
des idées contraires à celles qu'ils professaient de leur
vivant, allant parfois jusqu'à une autocritique en règle.
Remarquons qu'il existe un art de faire dire aux morts ce qu'on voudrait
qu'ils aient dit, et qu'il n'est pas nécessaire d'être
médium pour l'exercer. Si le Petit manuel a le grand mérite d'aviver notre curiosité pour la littérature spirite, il laisse aussi une impression d'insatisfaction. Stéphane Mahieu teinte son admiration pour ces écrits échappés à l'inconscient d'une forte dose d'ironie qui finit par en gâter le goût. On aurait apprécié un peu plus de subtilité. Raymond Queneau, saint patron des pataphysiciens, avait pourtant donné un bel exemple en menant ses recherches sur les aventures les plus improbables de l'esprit sans chausser de gros sabots. Il avait même ménagé une petite place aux spirites dans son Olympe, aux côtés des mystiques, des hétéroclites, des fous littéraires et des rêveurs dont il a fait les héros de ses romans. Il est tentant de regarder le spiritisme, qui émerge après le romantisme dans un siècle scientiste et hyper-matérialiste, comme une des grandes aventures poétiques des temps modernes. Dans sa tentative de réaliser la synthèse entre les meilleurs enseignements de toutes les religions et la science de son temps, c'est la seule forme de croyance dans l'au-delà qui ait pris le risque de s'appuyer, non sur des vérités révélées, mais sur le doute, assorti du pari de fournir des preuves de ce qu'elle avance. Les contributions des " secrétaires de l'invisible " à l'échafaudage fragile du spiritisme sont diverses ; leur étaiement laisse souvent à désirer. Entre les médiums tricheurs et les Esprits trompeurs, les zones d'incertitude sont vertigineuses. Il faut reconnaître que les témoignages attribués aux Esprits sont rarement aussi convaincants qu'un récit fantastique bien conté. On attend une uvre visionnaire, un message véritablement troublant, totalement étranger au monde qui est le nôtre, mais on ne trouve le plus souvent qu'un exposé assez plat ; au mieux, une fable peu crédible. Le paradoxe de la littérature spirite est de nier la fiction, alors que sa grande force est de permettre au médium d'ouvrir largement les portes de la subjectivité et de plonger dans les ténèbres de l'esprit. Stéphane Mahieu rappelle justement que l'étude des phénomènes du spiritisme par des psychologues comme Myers et Flournoy joua un rôle important dans les recherches sur le subconscient qui ouvrirent la voie à la psychanalyse. La letteratura d'oltretomba a tout pour intriguer et a sans doute encore de belles nuits devant elle. Ses meilleures pages sont peut-être encore à écrire. Elle ouvre un champ fabuleux au Merveilleux et de vastes perspectives à la littérature potentielle. Pour ceux qui ne se bouchent pas volontairement les oreilles au nom d'un rationalisme étriqué, le chant de Patience Worth et ses pareilles est un appel très séduisant. Les sirènes sont là, toutes proches. Juste de l'autre côté du miroir
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