|
||||||||||||||||
|
||||||||||||||||
À Cayenne,
vivent des chiens des rues capables d'une grande élégance
et d'une rare discrétion. Tous les Cayennais ont sans doute
encore en mémoire ce huit mai où un chien régla
la cérémonie de la place du Coq. Tandis que militaires,
officiels et personnalités s'étaient assemblés,
en un carré impeccable, autour du monument aux morts, afin
de célébrer les disparus de toutes les guerres ; au
moment où, pleins de dignité, et lourds de décorations,
le général et le préfet entamaient l'inspection
des troupes, figées au garde à vous, un gros bâtard
trapu se matérialisa à leurs pieds. L'animal ne manquait pas d'allure, la queue en panache, la tête fièrement dressée à gauche, comme il convient pour une prise d'armes. Sa longue langue rosâtre et baveuse pendouillait de la commissure droite de sa gueule entr'ouverte, expression vivante d'une force tranquille. Dans un garde à vous impeccable, les porteurs d'uniformes gardèrent le nez haut, le regard obstinément fixé sur une ligne bleue des Vosges imaginaire, imperturbables. La cérémonie se déroula de façon exemplaire, et, pour une fois, la sono ne connut ni couac, ni larsen, en jouant aux champs. Pourtant, faisant montre d'une modestie remarquable, le héros du jour ne chercha point à s'imposer. Sitôt sa mission accomplie, lorsque les éminents personnages qu'il avait guidés arrivèrent, au terme de la revue des troupes, devant la masse des pékins, il se faufila comme un lézard entre les jambes des badauds, et disparut comme il était venu, tel un fantôme, comme s'il n'avait jamais existé. Francis
Carpentier |
||||||||||||||||
|