Nouveau comptoir. Pour cette fois cueillir
un ticket et prendre son tour dans la file, en attendant
que des porte-manteaux sallègent. Vingt minutes et
plusieurs visiteurs sécoulèrent. Enfin ici on acceptait
le manteau. Mais elle garderait son sac. Plus son petit
parapluie. Sous le toit du plus grand musée du monde, on
imposait - allait-il donc pleuvoir ou le plafond se
mettrait-il en perce sans crier gare de garder avec
soi cet objet.
Ayant retrouvé leur sérénité, soulagés du vêtement,
ils pouvaient maintenant déambuler dans la place. Après
dêtre égarés dans une extension du nouveau Louvre
donnant sur la rue de Rivoli, escaliers, couloirs, escaliers,
après avoir croisé des allongés de pierre gardés par des
encapuchonnés aux visages dombre, et à nouveau escaliers,
couloirs, escaliers, ils se plantèrent ou se posèrent devant
les romantiques français. Pendant cette visite, la
petite écolière slave devenue professeur, déclara quavoir
sous les yeux La Liberté sous les barricades avait
réveillé chez elle un souvenir denfance. Elle allait
sapprocher, assez près, de lAtelier de Courbet,
hypnotisée par les personnages canonisés par lHistoire
de lart, quand elle sursauta :
- Madame ! Madame,
ne soufflez pas sur le tableau, reculez-vous sil vous
plaît !
Quelques salles et quelques centaines de pas
plus tard, ils tournaient un moment autour de La Victoire
de Samothrace, rendaient une visite appuyée aux renaissants
italiens, admiraient en chemin quelques espagnols qui le
valaient bien. Et faisaient une pause captive devant les
vitrines exhibant, sans complexes et sans craintes, coupes
de jaspe et de jade, vases, colliers royaux et couronnes
pour têtes de porcelaines aux poupées absentes.
Vint le moment de constater une petite faim.
Allant des romantiques français aux italiens, ils avaient
remarqué, à lange dune des ailes de lancien
château donnant sur les Tuileries, une cafétéria.
Ils sy rendirent, tirés par une odeur de café. Sinstallèrent
près dune fenêtre, avec vue sur le jardin où sessayait
un soleil de janvier. Et consultèrent la carte. Qui promettait
« une salade parisienne », composée de feuilles
de laitue, jambon de Paris, comté, tomates, amandes , noix
et noisettes. Une serveuse, qui officiait à une table voisine,
leur demanda :
- Vous avez commandé ?
Ils désiraient : - deux parisiennes sil vous
plaît !
Alors la voix leur dit :
- Ici on ne sert que
des plats végétariens !
Obstinés optimistes il serait bientôt
trois heures de laprès-midi ils entreprirent
à nouveau escaliers et couloirs, pour déboucher sur un self-service
encore éclairé. Derniers clients, ils purent, mérite de
la constance ou de la faim, apprécier les sourires des serveuses
kabyles, le regard complice de la caissière et même, gagner
deux cafés, apportés jusquà leur table par une serveuse
blonde.
Or ces deux-là avaient du savoir-lire. Lestomac en
paix, ils décidèrent daller sagenouiller pieusement
devant la Joconde. A lentrée de la salle où, derrière
une vitrine de verre blindé, devait toiser lénigmatique
dona, la silhouette dun gardien leur annonça :
- Ici on ne peut pas
voir la Joconde !
Alors trouvant quelle avait beaucoup
marché, beaucoup vu, la native de Moscou voulut, avant de
quitter les galeries très fréquentées du temple, examiner
son teint de blonde et se peigner un brin. De vestiaire
en vestiaire, elle avait pu à force le matin localiser la
bonne porte ; sans hésiter, elle sy dirigea.
Suivie dans linstant par une volée décolières.
Ne la voyant plus, lui se dit quelle avait franchi
le seuil et pensa : « Elle aura au moins échappé
à cette nuée de poussins piailleurs »
Mais elle revenait vers lui, souriante. Passée
la porte, quelquune qui faisait serpenter une serpillière
mouillée sur le sol, lui avait dit, donnant de la voix :
« Pour le moment, ici, on ne peut pas faire !
»
Tremblante un peu, elle fit des pas jusquau
vestiaire.
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