L'Anselme
Jean,
un
vache de poète
On
ne sait pas très bien où il faut
chercher le nom de L'Anselme. Est-ce à
la première lettre de l'alphabet qui nous
ramène soudain sur les bancs de la maternelle,
au temps de nos premiers apprentissages de la
lecture ? Ou à la lettre L qui,
avec son aérienne apostrophe, ressuscite
cet usage rural qui consistait à faire
précéder d'un article le prénom
d'un grand-père pour témoigner de
sa forte personnalité ?
Que cet L sonne aussi comme un substantif,
en vertu de l'équivoque qui règle
-et à haute dose dérègle-
le fonctionnement du calembour et de la poésie,
ces voies royales où s'éprouve le
langage, cela nous invite à virevolter
autour de l'uvre de celui qui s'est choisi
ce pseudonyme à l'aile (L) redoublée
: L'Anselme. L'Anselme Jean, fameux nom d'oiseau
et poème en soi, profession de foi et marque
d'appartenance.
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On nous
pardonnera de commencer par la fin. L'Anselme
(Jean), figure bien sûr dans les dictionnaires
(celui de La Poésie française
contemporaine de Jean Rousselot, par exemple).
Cette forme inversée, imposée par
les nécessités du classement, n'est
pas sans évoquer la cérémonie
des appels dans les préaus d'école
fréquentés par le poète,
comme bon élève d'abord, puis comme
instituteur et entraîneur sportif ensuite.
Son ami et son correspondant, le peintre Chaissac,
qui vivait aussi dans une certaine proximité
scolaire, aurait sans doute affectionné
cette tournure involontairement populaire, lui
qui signait certaines de ses lettres "Chaissac
Gaston".
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Chaissac
Gaston, L'Anselme Jean, autour de ces deux noms,
les notices biographiques entretiennent naturellement
un halo de légendes. En ce qui concerne
Jean L'Anselme, celle d'une naissance un tantinet
miraculeuse : à la dernière heure
du dernier jour de l'année 1919. Il y a
du vrai dans les légendes, mais s'il est
vrai que L'Anselme, à charge de sa seule
mère, eut une enfance pauvre, il sut, sans
renier celle-ci, se prémunir, dans une
large mesure, des sirènes du misérabilisme.
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Dans
l'immédiate après-guerre, il reçut,
comme l'écrit Robert Sabatier dans son
Histoire de la Poésie française
"le choc d'une rencontre avec le peintre
Jean Dubuffet". Il n'en sut pas moins, au
moment où il le fallait, s'arracher à
la puissante attraction de l'art brut pour inventer
un style personnel et décalé, au
besoin dysharmonique, auquel le grand petit
éditeur René Rougerie donna,
dans les années soixante, ses chances.
Il ne cessa d'expérimenter pour cela, avec
son tempérament d'homme cultivé
qui marque des buts contre son camp, des méthodes
de transferts, de collages et de transformations
discursifs, apparentées à des bricolages
volontiers utilisés dans la peinture contemporaine,
mais peu usités dans ce genre noble et
déclamatoire où la poésie,
pour l'essentiel, reste confinée.
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Ses recherches
matériologiques tiennent Jean L'Anselme
à l'abri de la légende. Cela se
voit sur les photos qui le représentent
où il arbore toujours petit sourire et
cheveux drus, avec des pectoraux d'ancien athlète,
qu'il exposait en 1952 sur le rabat de la couverture
du Chemin de lune publié par Seghers.
Un poète torse nu, ça ne c'était
pas vu depuis Arthur Cravan, mais celui-ci posait
modestement. Son portrait était du genre
à figurer dans le porte-souvenirs d'un
homme du commun, qui goûte depuis peu au
soleil et à la paix.
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Ce naturisme,
cette santé, cette tonicité physique
peuvent bien surprendre ceux qui confondent encore
poésie et vapeurs romantiques. Son goût
de la matière, qui ne lui fait pas craindre
de flirter avec la scatologie dans La Chasse
d'eau, son dernier recueil, peut bien être
reproché à Jean L'Anselme. Il s'origine
chez lui de très loin. La "fiente
de l'esprit qui vole", il est probable que
c'est au cul des vaches, ou plutôt
de l'unique vache qu'il gardait chez sa grand-mère,
"dans un petit village de contrebandiers
près de la frontière belge"
(Entretien avec Jeanine Rivais, Les
Cahiers de la Poésie n°11, 1993),
qu'il l'a recueillie pour la première fois.
Ce qui explique peut-être l'intérêt,
qu'à l'instar de Jean Dubuffet, il montre
fidèlement dans son uvre pour ce
ruminant. Une anecdote, sur ce point, nous convaincra
aisément que, pour Jean L'Anselme, les
vaches sont plus que vaches, qu'elles participent,
qu'elles ont toujours participé, d'un tout
qu'il appréhendait avec passion lorsqu'il
n'était encore qu'un matérialiste
en herbe. Dans Un enfant triste : Jean
L'Anselme, André Marissel, en 1955,
relate que "Dès quatre ou cinq ans,
le futur écrivain avait déjà
des idées bien d'aplomb. A telle enseigne
que l'inspecteur questionna notre poète
sur les vaches. Espérait-il de lui une
belle comparaison ? Le pédagogue fut servi
! Le bambin fit un rapprochement entre les yeux
des bovidés et ceux de Mme X, la Directrice".
Pour apprécier comme il se doit ce que
Marissel croit être une manifestation de
non-conformisme, il faut se souvenir du poème
intitulé L'Institutrice où
Jean L'Anselme évoque le départ
de son père : "J'avais quatre ans.
Elle était merveilleusement belle. J'en
étais follement amoureux. / C'est mon père
qui l'a épousée". C'est à
partir de cet événement traumatique
que L'Anselme commença "à douter
de la réalité de l'existence du
Père éternel". On ne peut s'empêcher
de le comprendre.
Rencontrer Jean L'Anselme, c'est déboulonner
les idoles, découvrir l'un de ses livres
c'est se munir d'un antidote contre le marbre
et le bronze, la pompe et l'ennui, contre l'intimidation
inhérente à une littérature
élitiste et pédante qui a oublié
la leçon de Rabelais. A des déluges
de mallarméisme, dégradé
en formalisme linguistique ou déguisé
en provocations avant-gardistes, il oppose le
barrage d'une réalité têtue,
d'une innocence prosaïque, d'un humour
rustique qui cachent et révèlent
à la fois une finesse de vue et une sensibilité
acérée. Comme Joseph Delteil, Jean
L'Anselme se déclare pour "la grosse
cuisine". Il nous rappelle que nous ne nous
nourrissons pas de nectar et d'ambroisie. A la
différence des futuristes, qui n'acceptaient
le progrès dans leurs uvres que sous
la forme de luxueuses automobiles et de rutilants
avions, il s'intéresse autant à
la ferraille qu'à sa machine à laver,
à la fermeture-éclair qu'à
ses poubelles, au caleçon qu'au bouton.
Le laid, les grandes surfaces, la bombe atomique,
ne sont pas pour lui faire peur. De tout bois,
il fait feu. L'il d'une vache, celui d'une
femme, un panier à salade, les fous du
volants, il s'attache à traiter tout de
façon équivalente. Il ne s'absente
pas de sa création et ce petit côté
zen lui procure l'occasion de réjouissants
renversements de point de vue où il ne
met pas dans sa poche ses convictions pacifistes,
laïques (Plaidoyer en faveur de l'école
libre), en homme qui sait préserver
l'espace idéologique dont il a besoin.
Il est certainement plus facile d'admirer "Ce
toit tranquille où marchent des colombes"
de Paul Valéry que "C'est au son de
l'accordéon / que Nénette a connu
Léon" de Francis Carco. Le lecteur
cultivé est ainsi fait qu'il accorde d'emblée
crédit aux métaphores un peu tirées
par les cheveux alors qu'il se méfie de
la simplicité d'une phrase en apparence
linéaire. Mirliton, dira-t-on. Mais tout
le travail de Jean L'Anselme consiste précisément
à se tenir au ras des pâquerettes
plutôt qu'à hauteur des orchidées,
au ras de l'expression instinctive et nasillarde,
là où le rythme et la pensée
sourdent tout frais du corps et du cerveau, sans
être encore pollués par une volonté
littéraire. Une éternelle fuite
en avant dans le jeu de mots, perceptible dans
des phrases du genre : "Il pleuvait (
)
à Sceaux et à Noisy-le-Sec"
(Les Poubelles) neutralise, chez L'Anselme,
le lourd esprit de sérieux, au profit d'une
vraie conscience d'exister qui, loin d'être
lénifiante, sait faire la place à
la nostalgie ou au pathétique retenu dans
les textes où il évoque le sort
de sa mère.
Ce n'est pas là combat solitaire.
Certains vers des Fantaisistes, de Jules Laforgue
("Les Christs n'ont pas la croix d'honneur"),
de Charles Cros ("Joujou, pipi, caca, dodo"),
de Tristan Corbière ("J'aime voir
ton beau col ployer !.. / Demain : je te donne
un collier"), de Léon-Paul Fargue
("La grâce que je vous souhaite / C'est
de n'être pas papouète") ou
de Louise de Vilmorin ("J'ai la toux dans
mon jeu") font même figure d'alliés
objectifs des écrits de Jean L'Anselme.
C'est pourquoi les amoureux de poésie vivante
que n'effarouchent pas le dialogue explosif et
malicieux de la culture savante et de la culture
populaire, du langage parlé et de l'expression
écrite, recherchent les recueils de Jean
L'Anselme, comme ils recherchent ceux de Norge,
de Jean Follain ou de Raymond Queneau. Plus encore
que ces derniers, L'Anselme, qui est aujourd'hui
octogénaire, s'est maintenu toute sa vie
dans une position de contre-pied, parfois à
la limite du "suicidaire", mais rebelle
à tout ronron. Dans certains de ces textes,
il fait peuve d'une indéniable virtuosité
dans le maniement du déséquilibre.
Muerta la vaca (in Les Cahiers de la
Licorne n°11, novembre 1960), par exemple,
un récit endiablé qui relate en
temps réel la rude expérience d'un
torero improvisé, partagé entre
la trouille et la bravade, au milieu d'une arène
hurlante, nous le montre très près
du dérapage dans le style de Frédéric
Dard (qu'il ne dédaigne pas plus que celui
de Ponson du Terrail) avant l'ultime coup de rein
de la chute et le "klaxon mourant" de
l'ambulance qui sauve tout.
A l'expression des sentiments intimes, Jean L'Anselme,
on le voit, consent ; fussent-ils à son
désavantage. C'est qu'en bon humoriste,
il ne saurait s'épargner. Toutefois, si
le lyrisme n'est pas absent de son uvre,
il a une façon de le tenir à distance
(voir les "poèmes poétiques
et poèmes prosifiés" de Au
bout du quai) qui fait penser à la
pudeur ironique de certains poètes belges
: Christian Dotremont ou Jean-Pierre Verheggen.
A l'étalage du bel esprit et des afféteries
pour happy few, l'auteur des Chansons à
hurler sur les toits préfère,
sans être dupe de la rusticité du
procédé, avoir recours à
"des calembours bébêtes, bêtes
au point que c'en est désarmant, mais sympathiques
dans le fond par la couleur et l'arrière-goût
de paysannerie qui s'en dégage" (Entretien
avec André Miguel, Le Journal des poètes
n°2, 1975). Non que le fumier colle encore
à ses semelles : après l'enseignement,
il a occupé des fonctions culturelles officielles
qui lui ont imposé d'être plutôt
tiré à quatre épingles, mais
parce que le grand art pour lui est "un art
qui a digéré sa culture au point
de la faire oublier, mais qui en est tout nourri
et rayonnant" (Pensées et proverbes
de Maxime Dicton).
Toute l'uvre de Jean L'Anselme est placée
sous l'empire de ce paradoxe.
Ses premiers livres : A la peine de vie
(1946), Le Tambour de ville (1948) doivent
beaucoup à sa jeunesse meutrie par la guerre,
à son engagement précoce dans la
Résistance "pour éviter l'affluence
de 1945", aux souvenirs des sacrifices consentis
par sa mère pour son éducation,
aux difficultés de sa condition sociale.
Dans un temps où le réalisme socialiste
d'Aragon disputait le terrain au réalisme
poétique de Jacques Prévert, L'Anselme
se fait le témoin d'un morose climat populaire.
Dans ce contexte favorable au développement
de l'ouvriérisme, Jean L'Anselme, avec
H.P Malet et Michel Ragon, crée Peuple
et poésie, une revue ronéotée
qui publie les poèmes de simples travailleurs.
Si Jules Mougin, alors facteur, et Jean Vodaine,
alors cordonnier, trouvent là l'occasion
de sortir du lot, "les résultats",
de l'aveu même de L'Anselme, sont "loin
d'être miraculeux". Sur 127 de ces
poètes ouvriers, seuls 4 ou 5 cas présentent
de l'intérêt. Les bonnes intentions,
en effet, ne suffisent pas. Certains vers ont
beau avoir pour auteur un employé S.N.C.F.,
cela ne les rend pas meilleurs. Ils ne peuvent
même pas être lus au second degré
: "Nos muscles sont de fer/ Nos volontés
sont tendues./ Nous saurons bien nous faire/ La
place qui nous est due !".
L'Anselme et ses amis répétaient
là, sans le vouloir, les erreurs commises,
après la Révolution de 1848, par
Béranger, Lamartine, Victor Hugo et surtout
George Sand, dont la réelle solidarité
se double d'un paternalisme évident, à
l'égard de Savinien Lapointe, Jean Reboul,
Charles Poncy, Jérôme Pierre Gilland,
respectivement cordonnier, boulanger, maçon,
serrurier. Leur action risquait d'assujettir aux
normes culturelles en vigueur des autodidactes,
issus des classes peu familiarisées avec
l'art des intellectuels, et non de les aider à
exprimer une créativité originale,
susceptible, par effet de retour, de revitaliser
la littérature officielle.
Nul doute que Jean Dubuffet, qui n'appréciait
guère la littérature prolétarienne
prônée par Henry Poulaille, n'ait
aidé Jean L'Anselme à sortir de
cette impasse. Son opinion sur la question est
nette : "les propos verbaux de ces gens sont
magnifiques tandis que leurs écrits (
)
sont tout à fait nuls" (lettre à
Gaston Chaissac, 28 août 1950).
Rallié aux positions du peintre, Jean L'Anselme
expérimente des méthodes nouvelles
pour marquer sa dissidence à l'égard
de l'écriture trop élaborée.
Renonçant à se comporter en tuteur
bienveillant de demi-illettrés, il s'en
fait maintenant l'élève. Son inspiration,
il la puise autour de lui, dans l'expression spontanée
et malhabile des enfants, en aval des corrections
imposées par les adultes. Mêlant
textes et dessins, il réhabilite la main
gauche en un temps où l'école contrarie
encore les gauchers. A la manière de Chaissac
qui attache un poids à son poignet pour
contrarier l'intelligence de sa main, L'Anselme,
dans les Poèmes à la sourieuse
rose (1947) s'astreint à écrire
de la main gauche parce que "sa main gauche
ne sait pas ce que sait" sa main droite.
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Histoire
de l'aveugle (1949), qui est aujourd'hui un
objet de collection bien qu'il ait été
conçu en dehors de tout souci de pérennité,
opère un retour à ces savoureux
amphigouris qui font le charme des rédactions
d'écoliers. De tous les turbulents petits
livres parus sous le label de L'Art Brut
(Ler dla canpane de Jean Dubuffet, Tir
à cible de Slavko Kopac, Evolucion
de Miguel Hernandez), c'est celui qui se réfère
le plus clairement à une source indentifiable.
Celle de ces minces brochures écrites et
illustrées par les enfants bénéficiant
de la méthode Freinet. C'est au duplicateur
L.N.S. que L'Anselme, a composé son ouvrage
en préservant dans son texte autographié
et dans ses images, cette maladresse tremblante
et si touchante de l'enfant qui s'applique à
infléchir, heureusement sans succès,
son monde intérieur.
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A ces deux
petits chefs d'uvre, qui renouent avec une
saveur perdue depuis l'extinction de la littérature
de colportage et que bien des jeunes artistes
cherchent à retrouver aujourd'hui au travers
des fanzines qu'ils concoctent, il faut ajouter
encore le rare Cahier de brouillon (1950).
Sur papier quadrillé, ce recueil, au tirage
très restreint, fait fraterniser deux textes
autographiés. L'un de Jean L'Anselme :
Histoire de l'ours, l'autre de l'outilleur
Pierre Leclercq.
Dès le début des années cinquante,
Jean L'Anselme, pour paraphraser André
Breton (Ode à Charles Fourier),
a "renversé la vapeur poétique".
Il tourne définitivement le dos, non à
la poésie qui en a vu d'autres depuis Jean
Bodel d'Arras, mais à l'asphyxiante littérature
des gensdelettres, assumant le risque de
s'aliéner le confort du sérail culturel.
Cela ne signifie pas qu'il ait trouvé
son style, car Jean L'Anselme n'est pas de
ces poètes qui traitent le style comme
une paire de pantoufles enfilée une fois
pour toute, mais il sait comment le rencontrer
au détour d'une phrase empruntée
à une lettre de garde-barrière,
retravaillée par ses soins et transportée
dans un autre contexte. Comme Jean Dubuffet récoltant
les éléments botaniques et les ailes
de papillons, Jean L'Anselme collecte les écrits
frustes qu'il "tarabiscote" -le mot
est de lui- jusqu'à les faire tourner en
poésie. Attentif aux perles syntaxiques
plus encore qu'aux spectaculaires pépites
lexicales, il sait comme personne les extraire
du minerai brut du fait-divers, du Journal officiel,
des slogans publicitaires. Il se comporte comme
l'un de ces glaneurs qu'Agnès Varda nous
a appris à tant aimer. Fouillant dans les
ordures pour en faire son miel.
Michel Ragon, pour caractériser ce "travail
de chiffonnier" n'hésite pas à
écrire : "une tendance de l'art actuel,
qui part de l'art brut (
) et aboutit
à ce qu'on appelle à Paris le nouveau-réalisme
et à New York le néo-dadaïsme,
trouve sa correspondance poétique dans
l'uvre de Jean L'Anselme". Sans doute
le propos est-il un peu fort, eu égard
à la capacité naturelle de Jean
L'Anselme à se tenir à l'écart
des ismes et des modes afférentes.
Mais il n'est pas faux.
Toujours à la recherche de ses "matériaux
de construction", cet "enfant terrible
de la poésie" (dixit Jean Poilvet)
rassemble des "écrits sans valeur,
des lettres perdues, des confidences du courrier
du cur (
), des textes pédants
(
)". Tantôt il s'approprie telle
quelle cette matière première comme
Marcel Duchamp le ferait d'un ready-made,
tantôt il la transforme pour aboutir à
une sorte de ready-made aidé. A
ces éléments empruntés, il
associe par collage des parties plus personnelles.
Technique appropriée à notre "Temps
du plastique", pour emprunter son titre à
une chanson de Léo Ferré. De tous
ses ouvrages, c'est Du vers dépoli au
vers cathédrale (1962) qui reste, de
ce point de vue, le plus significatif. On l'a
comparé au Cabinet noir de Max Jacob.
La plupart des nombreux livres de L'Anselme parus
depuis 40 ans chez Rougerie illustrent cependant
à des titres divers sa manière fluide
et déroutante qu'il commente volontiers
au fil d'un art poétique dont il prend
soin de disperser les fragments dans toute son
uvre, comme s'il voulait éviter d'être
trop aisément cerné par ses lecteurs.
Au sujet de cette agilité d'anguille, de
cette tendance à la désinvolture,
de cette légèreté juvénile,
qui différencient si fort les écrits
de Jean L'Anselme de ceux de bon nombre de poètes
patentés, il est à regretter qu'elles
n'aient pas souvent trouvé leur équivalent
typographique. La couverture rouge et noir des
éditions Rougerie n'est certes pas plus
sage que celle de la collection blanche de Gallimard
mais elle uniformise quelque peu le sémillant
propos et la subtilité cachée sous
un voile bouffon -pour employer un mot
cher aux banlieues du langage- de L'Anselme. Pour
des livres si peu apolliniens, on voudrait des
couleurs plus dyonisiaques. On aimerait que les
caractères dansent comme peuvent danser
dans notre tête certains vers de l'auteur
des Poèmes cons : "J'aimais
Emma et Emma m'aima" ou : "Quand on
meurt c'est pour la vie".
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C'est
pourquoi je terminerai par Le Caleçon
à travers les âges. Dans l'allure
désarticulée de ce recueil, imprimé
par Jean Vodaine en 1966, avec les moyens du
bord et des caractères de corps différents
empruntés à des polices différentes,
on sent passer, -malgré ou grâce
à- la pénurie des moyens utilisés,
un peu de la folle liberté que cette
étude, d'un burlesque scientifique achevé,
requiert. S'il ne faut pas avec les torchons
confondre Le Caleçon, celui-ci
n'en cousine pas moins avec les textes et les
documents hétéroclites réunis
par Camille Bryen et Alain Gheerbrandt dans
leur anthologie de La Poésie naturelle,
en 1949.
Une fleur sauvage et raffinée poussée
sur le terreau fertile de la poésie naturelle.
Ce pourrait être une définition
de l'art de Jean L'Anselme.
Jean-Louis
Lanoux
La
NRM Hors-série
n°
2 - Décembre
2002
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Jean L'Anselme
- Septembre 2009 |
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