Toujours trop vêtue,
alourdie d'étoffes rêches j'ai traversé
les villes souvent accompagnée, souvent importunée,
souvent à plusieurs. Parfumée. J'étais
à la mode. En couple par endroits, à deux
par habitude, par lassitude et peur du noir. On a essayé
à plusieurs aussi le lit. La compagnie des autres
me permettait de mettre à distance, un temps, mes
origines. D'oublier d'où je viens par hasard. De
cacher ma destinée. De fuir la lumière et
maquiller mon éclat. On roulait à toute
allure. Je me vivais Sagan.

Je lisais
trop.
Je restai
terne, le teint terreux, le sang de navet. La pâleur
de celle qui n'est pas née. Qui attend le jour
J.
Je fus
riche et mariée.
Je basculai
dans un état moyenâgeux de mondanités,
réceptions et cocaïne. Je demeurais très
à la mode. Courtisée pour mes robes et mon
esprit, mon cul et mon sens de la répartie. J'en
oubliai d'où je viens, (encore), j'en rêvais
la nuit, et m'accrochais à mon mari le matin de
peur qu'il me laisse aller brûler une maison en
forêt. Je l'astiquai ferme pour qu'il n'aille pas
au bureau. Je le retenais par tous les sens, je déployai
une myriade de postures excitantes pour qu'il ne me quitte
pas, pour que je ne sois pas tentée par un incendie
en forêt.
Il craquait.
Il bandait et rebandait derechef. Il fit faillite et me
quitta.
On divorça.
Bon débarras. Je repris d'autres ébats.
Je n'ai
jamais pu travailler. J'aime mieux la misère. Sans
horaire. Sans supérieur. Sans se lever.
Mentir.
Me vendre. Voler.
Etre dans
la mode.
Je devins
une accompagnatrice de luxe. Une tentatrice, une pute
distinguée, une morue raffinée, une maison
close à moi toute seule. Je créai mon site.
On me likait beaucoup.
J'appartenais
aux cons qui payaient pour que je m'entretienne. Ils me
décoraient de gros bijoux Chaumet, de carrés
Hermès, de robes Lacroix, des fameux Louboutins.
Surévalués.
J'étais
leur poule.
C'était
ça de gagné pour retarder le jour où
je piétinerais père et mère (feux
père et mère), jour où je brûlerais
la maison familiale, (feu la maison familiale) qui n'a
jamais abrité que des mythes et du récit.
Ils prenaient
leur Cialis Super Force dans la salle de bain, en cachant
leur nudité bedonnante quand ils se pliaient pour
boire l'eau du robinet. En me déshabillant et en
jetant un coup d'il sur leur corps trop flasque
et leur queue molle, je pensais à mon balcon en
forêt.
Au jour
de la revanche. De l'acte manqué réussi.
Au jour prémédité. Au jour où
je m'enfoncerai nue dans le sol mousseux de la clairière.
Jour où je ne serai vue que de vous, mes origines
et ma destinée.
Je pensais
au craquement du bois, aux cendres des corps enfouis dans
le baraquement maudit où je vins au monde dans
un village français. Je pensais à l'écroulement
des valeurs, à la mort de la famille, à
la lignée détruite, aux descendants qui,
Dieu Merci, ne verront jamais le jour.