Surréalisme
& ésotérisme
Surréalisme
& ésotérisme
de Patrick
Lepetit,
récemment paru
aux éditions Rafaël de Surtis, est un résumé
brillant et érudit des liens entre surréalisme
et occultisme. Ce livre défend l'actualité
d'un des choix les plus contestés du surréalisme,
le recours à l'ésotérisme "comme
une arme parmi d'autres pour subvertir le réel
et le percer à jour".
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Dès
les premières pages, ce court essai rappelle la permanence
du refus par les surréalistes "non pas de la croyance,
mais assurément de toute transcendance, notamment de
celle qui s'incarne dans le dieu des chrétiens."
René Daumal ne voit en Dieu que "Désir Imbécile
d'Eclairage Universel". Pour Benjamin Péret, qui
ne pouvait apercevoir une soutane sans aboyer, "il faut
tuer Dieu
La religion chrétienne représente
le plus grand obstacle à la libération de l'homme
occidental
Sa destruction est une question de vie ou de
mort". Cette charge extrêmement violente exclut toute
forme de conciliation. C'est en vain qu'un ancien prêtre
ayant compris le film à l'envers, Ernest Gegenbach, tentera
une impossible synthèse dans son livre Surréalisme
et Christianisme (1938). "Entre autres singularités,
note avec amusement Patrick Lepetit, il considère Breton
comme une réincarnation de Pietro di Luna - Pierre de
Lune -, anti-pape d'Avignon sous le nom de Benoît XIII,
le 'pape excommunié et toujours excommuniant' !"
C'est André Breton qui
initiera une approche plus complexe dès la Lettre
aux voyantes. Publié dans La Révolution
Surréaliste n°6 d'octobre 1925, ce texte y voisine
avec sa chronique du livre de Trotsky sur Lénine, ce
qui ne manqua pas d'étonner. "Nous sommes à
la recherche, nous sommes sur la trace d'une vérité
morale dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle nous interdit
d'agir avec circonspection" écrit-il. "Chacun
y va de l'idée qu'il réussit à se faire
de sa propre liberté, et Dieu sait si cette idée
est timide. Mais l'épingle, la fameuse épingle
qu'il n'arrive quand même pas à tirer du jeu, ce
n'est pas l'homme d'aujourd'hui qui consentirait à en
chercher la tête parmi les étoiles". Il place
volontiers ses pas dans ceux de l'alchimiste Nicolas Flamel,
dont l'ombre se profile encore dans les rues de Paris, aux alentours
de la Tour Saint Jacques. Aux voyantes, à qui il reconnaît
d'"immenses pouvoirs", il lance cet appel flamboyant
: "Ne nous abandonnez pas ; nous vous reconnaîtrons
dans la foule à vos cheveux dénoués. Donnez-nous
des pierres, des pierres brillantes pour chasser les infâmes
prêtres." Le texte sera joint à l'édition
de 1929 du Manifeste du surréalisme.
S'il
affirme dans Nadja que "l'au-delà, tout l'au-delà
est dans cette vie", André Breton partage avec Rimbaud
le sentiment profond que la vraie vie est absente, et qu'elle
est peut-être surtout ailleurs, d'où une "philosophie
particulière de l'immanence d'après laquelle la
surréalité serait contenue dans la réalité
même, et ne lui serait ni supérieure, ni extérieure".
Il ne dissocie pas la révolte contre les limitations
de la vie et la recherche de l'unité perdue, celle de
l'âme divisée entre ses différents états
de conscience dans un monde où l'industrialisation et
le travail aliéné séparent l'homme de l'univers,
fragmentent sa pensée et le dépossèdent
de lui-même. C'est cette quête qu'évoque
la phrase souvent citée du Second manifeste du surréalisme
: "Tout porte à croire qu'il existe un certain point
de l'esprit d'où la vie et la mort, le réel et
l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et
l'incommunicable, le haut et le bas, cessent d'être perçus
contradictoire-ment." La référence au langage
des alchimistes est transparente et on ne peut s'empêcher
d'y entendre un lointain écho de La Table d'émeraude,
ce texte bref et énigmatique, fondateur de la philosophie
hermétique, dont la découverte fortuite autour
de l'an mille bouleversa la pensée médiévale[1].
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Langue des oiseaux
Il
ne faut pas s'étonner d'entendre André Breton
pratiquer "la langue des oiseaux", une langue qui
semble parfois aussi obscure que des invocations d'un autre
âge. Elle participe de "cette aimantation
ininterrompue dont chaque page de Breton garde la trace"
(Julien Gracq) et qui est sa principale ligne de force. L'auteur
d'Arcane 17 a passé sa vie "à forcer
les serrures de la raison raisonnable et raisonnante avec toutes
les clefs qu'une 'attraction proportionnelle à sa destinée'
a mises entre ses mains" (Jean Schuster). Celles que lui
offrait l'ésotérisme n'ont pas été
les moins opérantes. Tony Del Renzio, membre du groupe
surréaliste britannique, écrit même en 1944
que les occultistes "ont fourni au surréalisme la
forme autant que le fond de plusieurs de ses plus
audacieuses et plus rebelles affirmations." Breton se verra
souvent reprocher cette sympathie. "Quelle tristesse, [
]
que de le voir se fourvoyer dans les sentes de l'irraison, les
'sentines de la magie' ! C'est hélas le lot de ceux qui,
refusant les cultes organisés, refusent aussi l'expérience
de la raison", écrit Etiemble, un de ses anciens
compagnons d'exil, dans le numéro d'hommage que lui consacre
la NRF en avril 1967. À l'inverse, Charles Duits, qui
n'hésita pas pour sa part à s'engager très
loin sur "les sentes de l'irraison", fait remarquer
que "le révolutionnaire spirituel est incomplètement
vu". Après la mort de Breton et la dissolution du
groupe surréaliste en 1969, ceux qui défendent
toujours ardemment cet aspect de sa pensée y sont encouragés
par la devise qui brille sur sa tombe comme une formule alchimique
: Je cherche l'or du temps.
Quels
chemins furent-ils empruntés ? "Il est clair que
très peu de domaines de l'occultisme ou de l'hermétisme
ont échappé à la curiosité des surréalistes,
mais jamais cependant au détriment de l'implication politique
comme chez les membres du Grand Jeu, et ce dès
les origines du mouvement", écrit Patrick Lepetit,
qui passe en revue les liens du surréalisme avec les
trois grands domaines de l'ésotérisme, l'astrologie,
la magie et l'alchimie. Etranges "noces chimiques"
où l'on croise Hermès Trismégiste [auteur
présumé de La Table d'émeraude],
Cornélius Aggrippa, Nicolas Flamel, Spinoza, Emanuel
Swedenborg, le Comte de Saint-Germain, Jacques Cazotte, Novalis,
Gérard de Nerval, Victor Hugo, Gustave Meyrinck, Carl
Gustav Jung, Howard Philip Lovecraft, Guillaume Apollinaire,
Robert Desnos, Michel Leiris, Max Ernst, Leonora Carrington,
Victor Brauner, Antonin Artaud, Pierre Mabille, Julien Gracq,
Malcolm de Chazal, Charles Duits, Toyen, Kurt Seligmann, André
Pieyre de Mandiargues, Annie Lebrun, Sarane Alexandrian et bien
d'autres figures inspirées, sans oublier le très
secret Fulcanelli, pseudonyme adopté par l'auteur du
Mystère des cathédrales et des Demeures
philosophales venu apporter en plein vingtième siècle
cette étonnante révélation : l'alchimie
vit encore !
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Pouvoirs perdus
Magnétisés
par André Breton qui déclare, non sans provocation,
qu'il faut "désocculter l'occultisme et occulter
tout le reste", les surréalistes ont traqué
tous les pouvoirs perdus. Le recours aux secrets de l'alchimie
et de la magie vise à reconquérir l'unité
de l'homme et du monde, non plus par la mystique mais par la
poésie. Il s'inscrit pour Breton dans le prolongement
des objectifs initiaux du mouvement : "Rappelons que l'idée
du surréalisme tend simplement à la récupération
totale de notre force psychique par un moyen qui n'est autre
que la descente vertigineuse en nous, l'illumination systématique
des lieux cachés et l'obscurcissement progressif des
autres lieux" (Second manifeste du surréalisme).
L'utilisation de ces secrets pour subvertir le monde et le réenchanter
n'implique à ses yeux aucune forme de croyance ou de
mysticisme : "Qu'il soit bien entendu, une fois pour toutes,
que l'analogie poétique, qui partage avec l'analogie
mystique la particularité de transgresser les lois de
la logique, en "diffère foncièrement [
]
en ce qu'elle ne présuppose nullement à travers
la trame du monde visible , un univers invisible qui tend à
se manifester", "un quelconque 'au-delà'"
écrit-il dans Signe ascendant. L'analogie pratiquée
par les alchimistes comme ressort de toute connaissance et moyen
d'accéder au secret des métamorphoses prend ainsi
une portée nouvelle, que souligne Annie Lebrun dans Qui
vive (1991) : "Il se pourrait que le fameux 'secret
pour opérer un tremblement de terre' consiste à
utiliser l'élan analogique, non plus seulement pour passer
d'un être à un autre, mais d'un état à
une infinité d'autres, s'inscrivant en relais entre le
réel et l'imaginaire, afin de précipiter la venue
de l'imaginaire au réel."
En
soulignant l'importance et la portée des liens qui unissent
surréalisme et ésotérisme, le livre de
Patrick Lepetit invite à les revisiter dans une lecture
créative et critique où il n'est pas défendu
de délaisser l'étude raisonnée pour des
recherches plus intuitives laissant leur part aux jeux du "gay
savoir". Car se trouvent à la portée de chacun,
aux carrefours du surréalisme et de l'occultisme, de
fascinantes ressources pour nourrir la vie de l'esprit, en rupture
avec le décervelage contemporain, les vérités
toutes faites et les impasses de la pensée morcelée.
Autant de clefs pour propulser l'imaginaire, remettre l'homme
au cur du monde et répandre dans la vie la liberté
intérieure des surréalistes. En couverture, un
collage de Paul Sanda, directeur de la collection et fondateur
de la Maison des Surréalistes à Cordes-sur-ciel
nous renvoie la question : De quoi aurions nous peur ?
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[1]Voir
Alchimie, le grand secret, d'Andrea Aromatico
(collection Découvertes, Gallimard)
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Patrick
Lepetit : Surréalisme et ésotérisme
- Editions Rafaël de Surtis : 7, rue Saint-Michel -
81170 Cordes-sur-ciel (15€) Patrick Lepetit est aussi
l'auteur de Rituel d'une fascination, publié
dans la collection "Pour une Terre interdite"
de Rafaël de Surtis en 2007 (14€).
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Signalons
la réédition d'Alchimie, de
René Alleau, texte de 1968 précédé
d'une intéressante préface de Michel Bounan
sur l'actualité de l'alchimie, aux éditions
Allia (6€).
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