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Les
stations du cri
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Voici lhistoire dun long cheminement. Un
cheminement inspiré par cette mésaventure à la cour
du Prince hongrois Estherazy, en novembre 1772, dans la ville dEstheraza.
Une sorte de voyage. Un voyage initiatique et ésotérique
dont je vais tâcher de vous conter les étapes. De quoi sagit-il
donc ? Dun parcours. Dun parcours aux vingt-six stations.
À lapproche du départ, tout est possible, tout est
permis : est-ce la liberté ou la permissivité ? Ce départ
me remplit dallégresse et je suis assez ému de tous
ces possibles, de tous ces potentiels. Le potentiel est ce que vous pouvez
dire en tenant compte de ce qui a été dit avant vous par
vos amis excusés pour cause de décès mais également
par vos amis vivants ou par vous-même. Un potentiel infini, sans
doute trop large. Limmensité, linfini devant nous sétale,
qui me livre son potentiel. Comme cela semble facile ! Je métonne
de la facilité ainsi offerte, assez inhabituelle de mon univers.
Bzzzzzz, regardez, entendez, zieutez cette mouche qui volette en zigzaguant,
encore un virage et voilà son dernier Z.
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Un univers trop large ? Que navais-je dit ! Comme
si une puissance occulte venait de mentendre à peine avais-je
annoncé le tout-libre tout-permis tout-possible. Bientôt,
et dès maintenant, lunivers semble se rétrécir.
Un tout petit peu. À peine. Si peu
Oh, vous me dire
non, on va me dire que ce nest pas difficile, et on aura raison,
mais je ne prétends faire dans lexploit. Je ferme les yeux,
respire ce parfum dylang-ylang et me retrouve dans une yourte près
dun fleuve, à son delta, en forme de Y plutôt que de
delta, et impassible, je remonte le fleuve, poursuivi par quelques peaux-rouges
qui martèlent leurs xylophones et par quelques joyeux ichtyosaures
qui chantent comme des styrènes. Je méloigne toujours
impassible du delta. Et voilà la première station. Une âme
disparaît, et lon entend désormais le cri de cette
âme. Car lâme brame, lâme crie son désespoir
: ce sont les Stations du Cri. Entendons le cri de Haydn à
la cour du Prince, et sa symphonie. Ainsi du fleuve disparaît lY.
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Alors apparaît une autre bifurcation, une croix.
Une croix, cest un choix : trancher lair à la hache,
et faire son choix dans cette croix. La croix nest pas à
porter, à découper seulement. Découpons la croix
suivant les pointillés. Aux ciseaux. Soucieux et même anxieux,
je regarde : par où aller ? Qui mindiquera mon laborieux
itinéraire ? Jexamine avec attention lalentour et pars
sur le côté en plein champ, laissant derrière moi
ce dernier carrefour en X. On ne dira plus désormais les adieux,
mais seulement ladieu. Comme cela est singulier ! Adieu à
tous, adieu à ce qui est le plus profond en chacun de nous, adieux
aux lieux de notre choix. Adieu aux âmes. Adieu aux croix. La symphonie
des adieux. Exit la croix.
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Je pousse une porte et me retrouve en plein western,
les gens jouent au poker devant moi, certains au whist, les whiskies coulent
à gogo et les WC ne désemplissent pas. Les femmes, visiblement,
sont restées au wigwam. On se croirait dans un film de Marco Ferreri
pastichant les bons westerns. Alors on laisse là tout cet univers,
ces femmes blanches. Et puis on laisse à jamais les wagons et le
souvenir denfance de Georges Perec et lon tourne la page.
Cest vrai, nest-ce pas ? Si je dis wagon, à
quoi pense-t-on ? Pour ma part, je pense à W.
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On a marché, marché. Beaucoup marché, comme dit le soldat dun compositeur russe dont le nom, bien que prononçable, est impossible à écrire. En ressortant lunivers paraît plus simple, ressemble à un petit village de nos contrées, peut-être Volvic où coule lO (alors que lO ne coule ni à Évian ni à Vittel), ou bien encore Valvins où coule le vin et où Mallarmé coule de paisibles jours, ou bien encore cette ville de Lorraine où coule la Vologne et où coule le petit Grégor qui ne fut jamais bien grand ? Cet univers champêtre avec ses joies (et même avec ses drames) me ravit. On me voit ravi, on me trouve ravi. Que rêver de plus ? Et je salue tout un chacun de façon latine : Vale vale à celui qui entre, ave, ave, à celui qui sort, tout en songeant soudain que cet a pourrait être maintenant privatif ! | |
On a marché, marché, beaucoup marché,
comme dit le soldat, et puis soudain, le ciel sassombrit, car on
est sur le point de perdre un maillon essentiel, ces indispensables maillons
qui permettent les sons clairs et sans lesquels les sons seraient abscons.
Désormais, il faudra faire sans le cinquième maillon, lequel
nest pas le plus faible, cest-à-dire le plus rare.
Alors je dis adieu, adieu, ne pleurons pas, surtout ne pleurons pas. Adieu
à la larme. Sans doute maintenant entendra-t-on le chant des stations
qui se succèdent et leurs cris respectifs. Et je le dis une dernière
fois : turlututu, lentend-on suffisamment ? Turlututu ! Et adieu
à adieu !
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On a marché, sans cesse marché et maintenant,
la campagne soffre à mon regard. Cette jolie campagne française,
et ses églises et ses clochers, et ses champs dorés et ses
champignons mignons, et son herbe ocre, et ses bois épais, et ses
joncs dor, et sa terre de fin dété, terre sombre,
terre de reflets marron, la campagne et ses mares et ses canards, la campagne
et ce gentil petit animal pris maintenant en grippe
Cest le
moment de dire enfin : santé !
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Alors on a marché, on a marché dans les
chemins, on pense à ces méandres, à ces chemins de
campagne, à ces chemins derrance, à ces chemins de
plaisir, ces chemins sans ligne de A à B, on pense à ces
épingles dans les chemins. Bref, on chemine comme des papillons.
Comme les papillons, on marche (jadore regarder les papillons marcher)
on marche sans regarder en arrière car la fragrance des essences
passées perd de son sens. Eh ! Essence sans sens.
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On a marché, marché, encore marché,
on approche de ce monde principal, monde déchange, monde
de lire, monde décrire, monde de la magie, de la magie de
ce dicible, de ce difficile dicible, monde de limage, monde de film,
monde de lidée, monde de lidée par limage.
Lidée régie par limage. Lidée régie
ici même par le langage, car le langage engendre lidée,
lidée rapide, lidée éclair, lidée
profonde. Lidée lancée, comme le coq lance le célèbre
cocorico, comme lanimal libre lance le cri : libre, libre, libre
! En mon cahier d'écolier / En mon grand banc en mon arbre /
En le grain dor en la neige / Je crie ce nom, comme a imprimé
Pol Élard. Là malgré ce libre crié,
difficile de prendre lair : air raréfié, air maigre,
air rare. Fin de lair. Fin de lère de lair.
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On a manié lidée, lidée
de ce coq. Là, ce coq coi. On place le coq en plein champ, champ
de blé, on a lidée de ce champ de coq. Lidée
le coq piaille comme la limande, comme lanimal de locéan.
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Lidée déliée, polie, jolie,
lidée défile. Fine, effilée, lidée
défile, on a le fil de lidée. On mâche lidée
comme la pipe. Nom de la pipe ! Place à la papille ! Pfffff
Échappe le P.
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Allo, allo ? Le monde fane. Non, non, dO nenni.
La fin de ce monde ? de ce monde bâillonné. La fin de ce
monde infime ? Méli-mélo de la moelle de ce monde amolli.
Non, non. Ce monde a mal. Le monde engoncé comme ballon dégonflé,
comme balle molle. Le maillon lâche. Gomme lO, dégomme
lO.
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Je mimagine malin, je mimagine aimable. Je
me méfie de câlin de Caïn. Je me méfie ? Je fane.
Minable. Ligne infinie. Filin, fin fil infini. Fin fil de lin. Fin de
fin.
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Je bâille. Même lémail bâille.
La malice bâille. Même Alice bâille. Elle me glace :
imbécile, limace ! La gamme défile. Dame Amélie mime
à demi. Dame Amélie me lie. Miel amical. Jaime, jaime,
jaime. Alice mâche : « Dégage jM
! »
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Je hèle la belle fille décalée.
Belle abeille ! Ah, lhabile alibi, babil de la belle abeille facile.
Elle hèle le flic débile. Il file, difficile, lâche.
Le flic gicle. Ça gicle facile, ici, le flic. Jaffale le
ciel. Je hèle lÎle à hélice :
délice, délice de calife. Je lèche le calice : gai
délice habillé de falbala, de falbala de fil, de ficelle.
Là, je décèle la faille, la faille acide ; accablé,
je décèle la faille. Elle faible. Diable ! Elle a failli.
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Ah, Kafka ! Face à face figé. Effigie de
Kafka. Face à Kafka, face kaki, face effacée. Kafka effacé.
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Fade biche, biche affadie ! Je dégage ce bagage.
Biche beige, je bâche. Gabegie, gabegie. Biche beige, jade. Je chiade,
je défie, je biche beige biche. Ci J
biche. Ci J
J
biffé.
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Fi ! Défi ! Défi de chef ! Défi de
chef décidé ! Défi de fief de chef décidé
! Défi de fief de fieffé chef décidé ! Chef
affadi, ici. Effigie acide de défi de fief de chef décidé
! Chef affadi, caïd biffé. Chef affadi, chef biffé,
chef figé.
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Face cachée. Hache fâchée, hache agacée.
Ah ! Eh ! H gâché. H haché. H caché. Dèche
!
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Gaffe ! Gaffe ! Adage, dégage ! Dégage ce
gag. Gage ! Cage. Cage à badge, cage à bagage. Efface ce
ga, ga effacé.
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Efface ce café fade, baffe ce fada, efface ce fa,
façade effacée, face-à-face fée, efface ça,
fée effacée.
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Ce. Ça. Ce Dédé. Abbé.
Abbé cédé, abbé décédé.
Dédé décédé. Aède, accède,
accède. Accède à ça. Décade baba. E
cède, e décède.
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À dad, à dada. Abacadaba, dac Dada ? | |
Cab, bac ABC, ça, ça, ça. | |
Baba, B.A.-BA. | |
Aaa !!!!!! Âââââââââ !!!!!!!!!!!!!!!!! | |
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