Jean
Smilowski
Pour l'amour de Ramona
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Jean
Smilowski, 1927-1989, fils d'immigrés polonais,
a vécu de 1943 à 1985 dans une cabane construite
au milieu des jardins ouvriers du Vieux-Lille. Là,
à l'insu de tous, il a créé son propre
monde merveilleux
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Marginalisé
par une société qui avait précocement
rejeté le fils d'immigrés polonais qu'il
était, Jean Smilowski a toute sa vie connu une
grande précarité qu'il est parvenu d'une
certaine manière à transcender par la force
de l'imaginaire et par une création singulière.
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Dubuffet, le premier,
donne en France une définition de l'Art dit "brut"
qu'il porte sur les fonds baptismaux en 1945 : "
productions
de toute espèce - dessins, peintures, broderies,
figures modelées ou sculptées, etc.- présentant
un caractère spontané et fortement inventif,
aussi peu que possible débitrices de l'art coutumier
ou des poncifs culturels, et ayant pour auteurs des personnes
obscures, étrangères aux milieux artistiques
professionnels". C'est à partir de cette approche
que l'on peut aborder, à quelques réserves
près, l'uvre de Jean Smilowski, ce "primitif
moderne" lillois, qui s'était créé
un monde à sa mesure dans la cabane sans eau ni
électricité qu'il avait bâtie et décorée
aux confins de la ville, sur les friches urbaines proches
de la citadelle.
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Palais
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Ouvrier
sans qualifications, grièvement blessé
à 33 ans - l'âge du Christ, détail
qui n'était pas pour lui sans importance -, Smilowski
commence à peindre - au Ripolin - au début
des années 50, après une période
broderie, sur du bois, du drap, du contreplaqué,
qu'il couvre ensuite, obtenant ainsi un effet brillant
sans doute involontaire, d'épaisses couches de
vernis pour lutter contre les effets néfastes
de l'humidité qui règne dans ce qu'il
nomme son "palais" ou son "ranch".
Il y a chez lui quelque
chose de l'habitant paysagiste. Sa demeure entourée
d'un rideau d'arbres dense et de murs solides est un
lieu clos, farouchement protégé, isolé
de l'extérieur par une porte ornée d'une
Sainte Rita, qui sera volée à plusieurs
reprises. De grandes fresques murales, à l'intérieur
de l'enclos, représentent des scènes reconstruites
à partir de figures empruntées à
un imaginaire fécondé par le western,
la chanson populaire - Tino Rossi - ou encore les illustrations
aperçues dans les magazines bon marché
de l'époque, comme ce Sitting Bull et
Ramona, où court la phrase "j'ai
fait un rêve merveilleux", qui se dresse
aujourd'hui dans l'entrée de la mairie de quartier
du Vieux Lille, à la Halle au Sucre.
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Rêves
Le
rêve, de fait souvent associé à l'idée
de "changement", semble jouer, chez Jean Smilowski,
un rôle très important dans le processus créatif
: dans les cassettes enregistrées par ses soins qui ont
été retrouvées dans ses affaires après
son décès, reviennent très souvent les
allusions à des rêves qu'il considère parfois
comme prémonitoires et qui pourraient bien ne pas avoir
été sans influence sur ses uvres. En 1980,
par exemple, il évoque des rêves de trains, de
voyages, au Mexique, en Italie et au Japon, ajoutant que cela
le dispense de voyager pour de bon. Il affirme également
avoir dialogué en rêve avec la reine Elizabeth,
à qui on l'a présenté comme n'ayant "pas
travaillé depuis trois ans", et qui a promis de
s'occuper de lui ! Mais aussi avec tous les grands hommes, ce
qui l'amène à émettre l'hypothèse
qu'il y a bien une vie après la mort, et même à
expliquer à son interlocutrice, sa sur Marie, qu'il
croit à la réincarnation, persuadé qu'il
est d'avoir vécu, "brun aux yeux marrons",
en Afrique du Sud dans une vie antérieure et s'apprêtant
à passer la suivante quelque part dans l'ouest de la
France
Il confie aussi rêver à l'au-delà,
thème récurrent de ses conversations avec sa sur.
Nous sommes précisément au cur de ce qui
rend son travail artistique, car c'est dans la richesse de son
monde intérieur que Smilowski a puisé la force
de vivre sa condition de marginal et de supporter les vicissitudes
du réel. Dans son "palais", créateur
fasciné par sa propre mythologie intime élaborée,
sans grande technique, à partir de la reproduction et
parfois de la reconstruction de représentations imagées,
il s'établit indubitablement au carrefour des imaginaires
du militaire, du religieux, de la liberté et de l'amour,
qui donnent littéralement ses rythmes à l'uvre.

Militaires
Le
militaire, parfois sous forme héroïsée,
revient souvent dans le travail de Jean Smilowski. On
pense bien sûr tout de suite aux merveilleuses petites
figurines, les avions, les cavaliers ou les combattants
en armes, mais il peint aussi fréquemment de jeunes
soldats, dont certains ont avec lui un certain air de
famille, voire des armées entières, reproduit
les drapeaux d'une multitude de nations, des insignes
régimentaires - souvent polonais - mais aussi de
multiples scènes de la Seconde Guerre Mondiale,
des affiches britanniques ou allemandes, des portraits
de dirigeants politiques ou militaires accompagnés
de slogans, comme Churchill ("Hold the Line"),
Hitler ("Hitler, c'est la guerre") ou encore
De Gaulle, le tout culminant dans l'exaltation de la bataille
de Stalingrad et surtout l'évocation haute en couleur
d'un vol de bombardiers alliés associé à
la curieuse légende "Faut-il que nous nous
quittions sans espoir, sans espoir de retour de nous revoir
un jour ce n'est qu'un au-revoir mes frères - 1945
Fin du Reich", dont la tonalité religieuse
ne peut être ignorée.
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Enfer et
paradis
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Le religieux, et même
le mystique, forment le second des axes de l'uvre
d'un Smilowski qui fait dans ses dialogues avec sa sur
la distinction entre croyant et pratiquant. La remarque
"À 33 ans, il a souffert, moi aussi"
encadrant un petit christ en croix placé au dessus
d'une photo de l'artiste, inscrite sur le panneau de
la Mairie de Quartier du Vieux-Lille, est emblématique
de la démarche qui l'a conduit à multiplier
les scènes ou les figures religieuses, dans un
esprit de large cuménisme, qui voit Bouddha
côtoyer le Christ et les divinités hindoues
voisiner avec la vierge noire de Czestochowa et une
Sainte Rita, encore, ornée de la supplique "Santa
Rita ora pro nobis"
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Sans illusions excessives sur les effets
de celle-ci, puisqu'ailleurs on peut lire : "La vie
est un paradis pour les riches. La vie est un enfer pour
les pauvres" ! Sans que ceci ne témoigne,
au demeurant, d'un quelconque esprit subversif : comme
ses pairs, Smilowski est plutôt un individualiste,
animé par un désir de liberté qui
apparaît très clairement au fil des uvres
à travers les emprunts qu'il fait à d'autres
types de création, le cinéma, le dessin
animé, la bande dessinée, sans doute perçus
comme mises en scène d'un monde plus beau que le
monde dans lequel il lui fallait vivre. Les Aristochats
et John Wayne, Astérix et Annie, Donald et Obélix,
Laurel et Hardy, Rintintin, Tarzan, Lucky Luke ou encore
Charlot apportent ainsi une touche d'innocence à
cet univers, également peuplé d'animaux
sauvages recopiés d'après une série
de timbres-poste, sur lequel règnent en gloire
guerriers mayas ou grandes figures d'indiens des plaines,
comme Sitting Bull, parfois associé à une
squaw baptisée ... Ramona !
Car
la vie de Smilowski, qui longtemps n'a guère vraiment
fréquenté que sa sur et sa mère,
était celle d'un solitaire. Il s'est "inventé",
avec la complicité de Tino Rossi, cette compagne
- à moins qu'il ne s'agisse de Rose Marie - qui
hante toute l'uvre, fresques, toiles, valises et
carnets, seule ou aux côtés de l'artiste
jeune, parfois revêtu de l'uniforme de la police
montée canadienne, dans un "rêve d'amour"
qui, bien sûr, ne saurait connaître d'autre
fin qu'heureuse, comme le suggère quelque part
la phrase "
et jamais nos amants ce sont aiméz
si tendrement"
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Art
sans message, sans intention de plaire ni de choquer,
c'est-à-dire aux antipodes de l'Art tel qu'on
l'entend ordinairement, le travail de Smilowski, qui
peignait comme on respire, est le fruit d'un tête
à tête avec lui-même, destiné
à humaniser un réel en marge duquel il
se trouvait relégué, lui qui avait écrit
sur un coffre : "Je n'avais qu'un seul désir/
c'était partir/ sortir/ m'enfuir ne plus/ REVENIR".
Avec le sentiment d'accomplir, malgré tout, quelque
chose de peu ordinaire, puisque l'on peut lire, à
l'intérieur du même support : "Il
n'est pas encore né/ celui qui fera ce que/ j'ai
déjà fait".
L'uvre de Jean Smilowski, qui se crée le
monde que le monde lui a refusé, est un cocon.
Une uvre-monde.
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Patrick
Lepetit
La NRM
n°
24-
Eté 2009
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Le rêve merveilleux
L'uvre
de Jean Smilowski comprend des peintures, des meubles
peints, des valises décorées sur toutes
les faces, des boîtes et des trousses de toutes
tailles, des jouets, des poupées, des maquettes
et trois livres uniques. Deux cahiers de dessins se rapportent
à l'histoire et aux religions. Le plus étonnant
est un livre relié artisanalement à l'italienne
qui réunit des centaines de dessins ornés
de couleurs vives. Jean Smilowski a inscrit "1639
pages" au début et "Finis" à
la fin, sans oublier d'y mettre son nom. À la page
1031, un cow-boy vêtu d'une chemise rouge s'est
endormi auprès de sa guitare et fait un songe où
apparaît la belle indienne:
"
J'ai fait un rêve merveilleux
ramona nous étions partis tous les
deux, nous allions lentement vers le
pays radieux, et jamais nos amants
se sont aimer si tendrement
Ramona fuions tous ses regards jaloux
ramona ton doux parfum de tes baisers
ramona ce rêve l'amour. "
Philippe
Lemaire
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