Skin on skin


Les collages de Philippe Lemaire m'inspirent, m'incitent à dire, me font écrire. Ses images réveillent mes mots, ses montages écoutent ma voix, appellent mon souffle. Si loin, si proche, l'inquiétante étrangeté d'une langue inconnue et qui m'aime et que même… le lointain écho de certaines couleurs que j'aurais portées, de rêves familiers que j'aurais frôlés, ou trop racontés, de promesses que je n'ai pas tenues, par peur ou paresse, de fantasmes inavoués ou inventés.

De mots trop tus.

Écrire avec, sur, contre les collages de Philippe c'est le rejoindre et m'en écarter, c'est lui faire signe mais de loin en continuant mon chemin, sans que l'on se gêne, à la bonne distance. Sans que l'on aille dans la même direction, en ayant tout loisir de flâner seule, de cueillir ces roses jaunes, de s'attarder dans la nuit bleue sans lui offrir et d'être surprise, cependant, à recevoir sur le papier, ces bouquets disposés de façon insolite, amusée, coquine.

"L'araignée des glaces" Collage de Philippe Lemaire © 11 juin 2001.

J'aime être à l'écart.

Dans son sillage et ses courbes, dans son mouvement, ses pleins et ses déliés, je me trouve, je m'éprouve, je m'imagine. Ivresse de la feuille qui n'est jamais blanche. Euphorie du parcours balisé et liberté de fouiner, cueillir, creuser, squizzer, remuer ciel et terre. Ramasser les cailloux et les couleurs, et en souffler des peurs, des phrases, des perles.

Tracer, repasser, se souvenir et dessiner les lignes de fuite ou de rencontre. En faire un monde, s'en raconter, s'en imprégner.

À l'ombre d'un chêne fleuri, dépourvu de branches et de feuilles à lui, nourri de bouquets de cartes postales à l'ancienne, - rappel des cartes de sainte Catherine échangées pour rire, pour dire combien on est copines à l'école, petites, - à l'ombre de cette nature artificielle, l'écriture est libre, elle est nue, sensible et elle s'étire dans l'espace ouvert de l'image.

Palimpseste à plaisir.

Compost où la peau de l'un touche l'autre aux confins de nos empreintes. Je me saisis d'un signe et le décline, je choisis mes zones, je me laisse prendre par une silhouette, à première vue dédaignée, négligée, trop poupée et puis elle devient insensiblement, carrément le centre du texte, ou ce qu'il cherche à masquer. Elle est mon autre cette arrogante au corps nu, côté cour, plantée là, insolente et décalée, affichant sa plastique avec effronterie, me détournant de mon récit, sotte, trop longue, trop en avant, trop juvénile sur son île atterrie. Elle s'insinue dans mon chemin et me nargue. J'en ferai une Icare au féminin, se brûlant les ailes d'avoir été trop proche de la lumière et me faisant donc de l'ombre.

J'aime être à côté et offrir mes mots, m'engager dans la pénombre bleu nuit, laisser voir mon autre peau, plus douce, plus intime, plus près du corps, comme un body.

Plus loin en arrière-plan, du côté des étoiles.

Temps de l'ailleurs qui déplie mots écrits et images construites, temps de la toile où se tressent masculin et féminin, tant que nous serons vivants, puisse la tapisserie s'étoffer, s'épaissir des lignes de nos peaux, s'enrichir de nos deux langues, plaquées là, à plat.

Skin on skin.

 Géraldine Serbourdin
17 novembre 2013, 14h.
La NRM  n°35 - Décembre 2014

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