Les collages de Philippe
Lemaire m'inspirent, m'incitent à dire, me font
écrire. Ses images réveillent mes mots,
ses montages écoutent ma voix, appellent mon souffle.
Si loin, si proche, l'inquiétante étrangeté
d'une langue inconnue et qui m'aime et que même
le lointain écho de certaines couleurs que j'aurais
portées, de rêves familiers que j'aurais
frôlés, ou trop racontés, de promesses
que je n'ai pas tenues, par peur ou paresse, de fantasmes
inavoués ou inventés.
De mots
trop tus.
Écrire
avec, sur, contre les collages de Philippe c'est le rejoindre
et m'en écarter, c'est lui faire signe mais de
loin en continuant mon chemin, sans que l'on se gêne,
à la bonne distance. Sans que l'on aille dans la
même direction, en ayant tout loisir de flâner
seule, de cueillir ces roses jaunes, de s'attarder dans
la nuit bleue sans lui offrir et d'être surprise,
cependant, à recevoir sur le papier, ces bouquets
disposés de façon insolite, amusée,
coquine.

J'aime
être à l'écart.
Dans son
sillage et ses courbes, dans son mouvement, ses pleins
et ses déliés, je me trouve, je m'éprouve,
je m'imagine. Ivresse de la feuille qui n'est jamais blanche.
Euphorie du parcours balisé et liberté de
fouiner, cueillir, creuser, squizzer, remuer ciel et terre.
Ramasser les cailloux et les couleurs, et en souffler
des peurs, des phrases, des perles.
Tracer,
repasser, se souvenir et dessiner les lignes de fuite
ou de rencontre. En faire un monde, s'en raconter, s'en
imprégner.
À
l'ombre d'un chêne fleuri, dépourvu de branches
et de feuilles à lui, nourri de bouquets de cartes
postales à l'ancienne, - rappel des cartes de sainte
Catherine échangées pour rire, pour dire
combien on est copines à l'école, petites,
- à l'ombre de cette nature artificielle, l'écriture
est libre, elle est nue, sensible et elle s'étire
dans l'espace ouvert de l'image.
Palimpseste
à plaisir.
Compost
où la peau de l'un touche l'autre aux confins de
nos empreintes. Je me saisis d'un signe et le décline,
je choisis mes zones, je me laisse prendre par une silhouette,
à première vue dédaignée,
négligée, trop poupée et puis elle
devient insensiblement, carrément le centre du
texte, ou ce qu'il cherche à masquer. Elle est
mon autre cette arrogante au corps nu, côté
cour, plantée là, insolente et décalée,
affichant sa plastique avec effronterie, me détournant
de mon récit, sotte, trop longue, trop en avant,
trop juvénile sur son île atterrie. Elle
s'insinue dans mon chemin et me nargue. J'en ferai une
Icare au féminin, se brûlant les ailes d'avoir
été trop proche de la lumière et
me faisant donc de l'ombre.
J'aime
être à côté et offrir mes mots,
m'engager dans la pénombre bleu nuit, laisser voir
mon autre peau, plus douce, plus intime, plus près
du corps, comme un body.
Plus loin
en arrière-plan, du côté des étoiles.
Temps
de l'ailleurs qui déplie mots écrits et
images construites, temps de la toile où se tressent
masculin et féminin, tant que nous serons vivants,
puisse la tapisserie s'étoffer, s'épaissir
des lignes de nos peaux, s'enrichir de nos deux langues,
plaquées là, à plat.
Skin on
skin.