Jean Rousselot sans étiquette « Poésie et vérité deviennent à jamais synonymes ». Cest la conclusion, empruntée à la préface dAlain Bosquet aux Moyens dexistence, que donne Arlette Albert-Birot, intervenant au colloque dAngers sur lécole de Rochefort, aux années de formation de Jean Rousselot, né à Poitiers le 27 octobre 1913, orphelin de père en 1916 (Verdun) et de mère en 1929 (il la voit disparaître dans une « fanfare de sang »). Hugolâtre à douze ans puis parnassien, symboliste, fantaisiste, il est initié par le commis de librairie, poète et ami, Louis Parrot, à Lautréamont, Rimbaud, Eluard, Jouve, Reverdy, aux surréalistes, mais aussi à Platon, Bergson, et Proust, lus simultanément. Ajoutons la rencontre et lamitié de Max Jacob, et ces étapes, brûlées comme la vie, par tous les bouts (« faire du sport, faire la noce, tout apprendre et dévorer », après avoir, dès lâge de quinze ans, gagné son pain - ce régime confronté à la misère devait le mener, à vingt ans, au sanatorium), découvrent et construisent une poésie qui trouve sa vérité dans la contradiction, le refus des précédentes représentations ou conceptions quon se faisait delle, et que de nouvelles réalités obligent à déplacer, à remettre en perspective.
Cette conquête de lunité
rapproche et distingue Rousselot des surréalistes. En 1932
et 1933, il dirige avec Jean Germain et Robert Kanters la revue Jeunesse,
à laquelle collaborent Jean Cayrol, Gaëtan Picon, Louis Parrot, puis le
Dernier Carré avec Fernand Marc et la participation de Joë Bousquet,
Michel Manoll, Jean Follain, Maurice Fombeure, Lucien Becker. Quand il
publie son premier recueil, Poèmes, en 1934, il figure «
au tout premier plan de la jeune poésie », selon Jean Markale
qui qualifie cette période de « néo-surréaliste » (Poètes
des temps modernes, revue Escales, 1952). Jean Rousselot na jamais
renié cet héritage. « Jy tiens très fort », déclarait-il
en 1984 au colloque dAngers. « Je considère que, finalement,
il ny a jamais eu (...) la moindre rupture entre les surréalistes
et moi, sauf (
) sur un plan que je qualifierais de pratique. La
recherche dune maison, la recherche dun lieu, en ce qui me
concerne : zéro ! Car ça a toujours été (
) une politique
de destruction, de terre brûlée et de recherche dautre chose qui
ne fût précisément pas une maison. Jai toujours obéi personnellement
à la recherche dune certaine paranoïa volontaire que jappliquais
à la fois à ma vie et à mon uvre ; pour moi, cest exactement
la même chose ». Le critique et historien de la poésie Jean Rousselot
ne manquera jamais de rappeler que les surréalistes eux-mêmes héritaient
de Tzara, bien sûr, la poésie comme activité de lesprit et non comme
expression dun esprit préexistant, mais aussi de Reverdy (limage
arrivant « sur ses propres ailes »), de Max Jacob, de Pierre
Albert-Birot. Les frontières entre les genres sont si perméables à Jean
Rousselot quil précise son rapport au surréalisme dans lavertissement
qui ouvre son roman Pas même la mort (Robert Laffont, 1947), en
présentant un personnage, Pierpont, qui lui ressemble comme un frère :
« Parti du rêve et hanté par le désir de se fondre dans le réel
social qui lui apparaît comme la fin inéluctable, sinon heureuse, de toute
vie terrestre, il ne peut être pris pour un personnage anachronique que
si lon refuse de reconnaître que les événements les plus gigantesques,
les plus universels, ne résolvent en rien les problèmes de lesprit,
dont le moindre, toujours pendant depuis que le surréalisme a pratiquement
renoncé à le résoudre, nest pas cette réconciliation de lhomme
avec ses rêves, que les poètes ont pour mission de réaliser. » Sa vérité est, à découvert,
lévidence que lon refuse de voir. La poésie-vérité secrètement
agissante sous les représentations a partie liée avec les « idées
confuses » chères à Joubert. À Jean-Claude Kraus, Jean Rousselot
le cite en 1978 : « Si les idées claires servent à parler,
cest toujours par quelques idées confuses que nous agissons. Ce
sont elles qui mènent la vie ». Et en décembre 2002, il écrit
à Olivier Shesne : « La vraie poésie est nécessairement obscure
puisque rien naurait lieu sans elle ». Le surréalisme pourrait
être ici invoqué, au même titre que la « bouche dombre »
hugolienne, Nietzsche, Freud, Jouve, mais ces références ne sauraient
faire oublier leur nouveau contexte. Linvisible, ou ce quil
est interdit de voir la vérité, la poésie - cest lhumanité
de lhomme déshumanisé tel que lont décrit Musil, Kafka, Orwell,
et Rousselot lui-même, en particulier dans son roman Les papiers,
plus que jamais dactualité. Le recueil Le corps bronzé (1950)
commence par les vers :
Cette invisibilité active et omniprésente, celle aussi du peintre qui donne à voir puisque « tout est peinture » (Le mystère dEleusis, 1979) rappelle ce quécrivait Georges Mounin en 1968 : « Cet homme ne sest jamais endormi sur loreiller de la littérature. Plus le succès se confirmait, plus linquiétude grandissait. Cétait une inquiétude exacte, sans absolument rien de pathologique. Vers cinquante ans, cette personnalité bien parisienne vendit ses biens littéraires, sa renommée journalistique, ses actions radiophoniques, ses jetons de présence éditoriaux pour sen aller tout seul et les pieds de plus en plus nus vers sa Jérusalem, ou sa Mecque, ou son Abyssinie personnelle. Pèlerin de plus en plus silencieux, de plus en plus détaché, qui nous écrit de temps en temps non plus exactement des poèmes ( ce sont pourtant toujours des poèmes) mais des lettres dassez loin, toujours de plus loin, sans fracas. Cest dailleurs à ce trait que se reconnaîtront ses lecteurs ; il est impossible de lire tout cela comme un livre. Cest comme si nous lisions le journal intime des gens de notre génération, mais doués pour lécrire On ne se demande même pas si cest un grand poète. Mais cest un poète , et cest quelquun ». Mais des « gens »
de quelle « génération » parle Mounin ? Jean Rousselot,
traducteur de Shakespeare, de Poe, fut aussi un « intime »,
biographe et commentateur, de Blake, Agrippa dAubigné, Attila Joszef,
Corbière, Milosz, et tant dautres, réunis dans Présences contemporaines
(N.E.D., 1958), Mort ou survie du langage ? (Sodi, 1969),
le Panorama cri-tique des nouveaux poètes français (Seghers, 1952),
lHistoire de la poésie française (Que sais-je ? 1976
et 1982) ou dispersés en dinnombrables articles dans les revues
les plus anciennes et les plus jeunes. Espèce humaine ? Histoire ?
Temps ? Espace ? corps, matière minérale, organique ? Rêve,
esprit ? Écriture, langage ? François
Huglo
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