" Régents Obscurs "

 

Sur Tout Disparaîtra d'André Pieyre de Mandiargues

 

En mémoire d'Alain-Pierre Pillet.


Dans la galaxie surréaliste, André Pieyre de Mandiargues, l'"amant arrogant du dit ; mendiant qui nargue", selon ses propres mots, a toujours fait figure de franc tireur, toujours un peu à côté, en dehors, en dépit de son implication indéniable et de ses amitiés nombreuses avec des femmes et des hommes se réclamant de ce mouvement de pensée. On sait que, dans cet esprit, il a adhéré sans restriction au principe surréaliste de célébration de la femme, en y apportant toutefois sa petite touche personnelle, c'est-à-dire en reconnaissant à celle-ci, comme aucun autre, de mystérieux pouvoirs liés précisément à la féminité.

 

     Seules quelques femmes surréalistes, Leonora Carrington, Joyce Mansour ou Léonor Fini, par exemple, ont eu, mais d'un point de vue spécifiquement féminin, une approche non pas exactement comparable, mais parallèle, présentant la particularité, au delà de l'aspect disons romantique de la question, de ne pas faire l'impasse sur la dimension sexuelle.
En d'autre termes, Mandiargues, né sous le signe des Poissons et croyant à l'astrologie comme à une science exacte, a mis en scène - et le mot est approprié - dans ses écrits, ses contes en particulier, récits qui "s'apparentent plutôt à ceux de rêves marqués par d'étranges rituels et une obsession omniprésente de la fuite du temps", comme le souligne Gérard Meudal dans la nécrologie que consacre en décembre 1991 Libération à l'écrivain, un érotisme -"jamais séparé de la métaphysique", confie-t-il à Gérard Macé1- qui lui est parfaitement personnel, parfois cru, parfois cruel, toujours raffiné, articulé dans la plupart des cas sur une forme de fantastique relevant de sa propre conception de ce merveilleux dont les surréalistes ont avec constance guetté toutes les manifestations. Un fantastique qui, selon la définition qu'en a donné Tzvetan Todorov, rappelons-le, se manifeste justement lorsque "dans un monde qui est bien le nôtre, celui que nous connaissons, sans diables, sylphides ni vampires, se produit un évènement qui ne peut s'expliquer par les lois de ce même univers familier"2.

 

     On sait que l'amour est un des piliers du surréalisme, comme en témoignent tant d'œuvres ou encore, emblématiquement, le Jeu de Marseille, et cela rend parfaitement compte de la place que ceux qui y adhèrent accordent aux femmes, pas simplement du reste cantonnées au rôle de muse ou d'égérie… Qui pourrait en conscience réduire à cette condition ectoplasmique des personnalités comme Toyen, Méret Oppenheim, Unica Zürn ou Annie Le Brun ? Qui d'autre qu'une Xavière Gauthier ou qu'une Whitney Chadwick pourrait raisonnablement accuser Breton et ses amis de les cantonner à un tel statut ? Femmes-fleur, femmes enfant, certes parfois, femmes fatales, amantes et non maîtresses, actrices toujours de leur propre destin dans un monde où ce n'est guère la règle, traversées comme leurs pairs masculins par les éclairs de la folie ou de l'amour, les héroïnes surréalistes comme les protagonistes féminines de l'aventure y ont occupé toute leur place et elle ne saurait être considérée comme mineure. Figures parfois parées des attributs du mythe, du fait de leurs excentricités de façade, de leur allure teintée de provocation, de leur œuvres, qui ne le cèdent en rien à celles de leurs camarades, de leurs parcours, parfois chaotiques, elles ont généralement été présentées par leurs amis comme des magiciennes mais ont souvent, pour leur part, préféré se dire sorcières - et on conviendra que la nuance est de taille. Peut-être d'ailleurs y a-t-il un malentendu dans la manière dont la critique parle habituellement de la femme chez les surréalistes, et peut-être faudrait-il adapter à la question la grille de lecture que Mandiargues, précisément, applique à Breton dans son livre d'entretiens avec Francine Mallet, Le Désordre de la Mémoire, où il affirme que "si Breton reconnaît une déesse de l'amour, c'est beaucoup moins Vénus que Diane, la froide souveraine de la nuit, le reflet de la femme dans l'argent du miroir, le principe féminin et lunaire selon les alchimistes et les maîtres d'une tradition ésotérique qui demeure dans les pages d'Arcane 17 comme dans les sculptures de maintes cathédrales …" Or Diane n'est pas un parangon de tendresse et de douceur ! Et puis, compte tenu de la place de la sexualité dans le mouvement, il est clair que la Dame des surréalistes, bien que sa lointaine descendante, n'est pas celle des troubadours, n'est pas la Sophia…

Ressorts secrets

     À travers ses textes, Mandiargues a constamment présenté les femmes comme dotées de pouvoirs mystérieux, très souvent en lien avec la vie et la mort : comme le dit Alain-Pierre Pillet : "Toutes les héroïnes mandiarguiennes, ces 'petites filles criminelles', selon la belle expression d'Olivier Perrelet, se dévêtent et abolissent ainsi la séparation entre l'homme et le monde qui l'entoure, en fonction de quoi les énergies naturelles passent de l'un à l'autre, sans écran. Ce monde qui nous entoure, c'est celui des 'mystères de la bestialité, de la complicité du poil avec le sang, où réside la signification obscure du sacrifice' ". Et il précise : "Mandiargues ajoute : 'Je crois être parvenu à une illustration vraiment convaincante, cette fois, de cette vieille magie panique qui est un peu comme le souffleur de mon théâtre' "3. Voici nommé un des ressorts secrets de l'inspiration de l'auteur, la magie. Car Mandiargues prend dès l'origine, même si c'est à sa manière, rang parmi ces surréalistes qui vont puiser thèmes et images dans les "sciences maudites", ce qui, de concert avec une écriture somptueuse, rend compte de ce "climat propice à la transfiguration des phénomènes sensibles", dont il parle dans la préface au Musée Noir, dans lequel baignent ses textes.

Magie rouge


     Et ceci est particulièrement vrai dans le cas de son dernier long récit Tout Disparaîtra4 livre dans lequel l'auteur de La Marge semble bien avoir eu à cœur d'explorer des thématiques liées à la magie sexuelle ou "magie rouge" - qui n'est pas "une débauche spéciale, compliquée d'une liturgie" mais "l'aboutissement ultime et la doctrine la plus secrète de la philosophie occulte"5-, voire au féminin sacré. De nombreux indices, dans le texte, militent pour une telle interprétation. Tout commence par la rencontre fortuite, forcément fortuite, dans le "souterrain séjour" du métro parisien, dont les voies sont comparées au Styx, convoquant ainsi la mythologie classique, et particulièrement les figures d'Orphée et d'Eurydice6, d'un homme, Hugo Arnold, sorte de dandy avide de bonnes fortunes, et une mystérieuse jeune femme, mi-courtisane, mi-actrice -et à ce titre un peu tragédienne - Miriam Gwen, dont le nom, "celui de la femme par essence, ou presque", allie la tradition juive à la tradition celtique. Présence de la tradition celtique particulièrement nette au fil de cette citation quoique globalement marginale dans l'ensemble du texte : "Un parfum où il discerne du musc et du jasmin, sous un fond de mille fleurs, monte vers lui comme s'il sortait des ouvertures de sa robe" - qui fait irrésistiblement penser à la Blodeuwedd, "née des fleurs", l'héroïne de l'histoire irlandaise de Gwyddyon et d'Arianrod, mais aussi à la Flora d'Arcimboldo (1526-1593), ce protégé de Rodolphe II de Habsbourg à qui Mandiargues encore a consacré une étude7… Mais la jeune femme incarne bien autre chose encore, si l'on en croit cette remarque aussi singulière que significative du narrateur : "Il ne lui manquerait que d'être pieds nus sur un sol vaste et inculte pour figurer la Grande Mère des Dieux, des hommes, de la faune et de la flore, celle qui donne naissance à toute chose vivante et qui peut à tout retirer la vie par le simple fait de ce qui est féminin par excellence, et que les mâles appellent le caprice".

     En fait, Miriam n'est qu'une des "suivantes", une des "petites familières" de celle qui pourrait faire figure de Grande Déesse, une certaine Sarah Sand - dont le nom fleure bon la terre et les commencements -, sa "grande amie" à la "puissance surhumaine", sa "supérieure en toutes choses" qu'elle présente en ces termes - ambigus et qualifiés de "profession de foi" par le narrateur - à son compagnon : "Son rôle vis-à-vis de nous serait plutôt celui de la plus sublime amie qui se puisse imaginer, d'une très puissante protectrice (…), d'une grande prêtresse ou d'un chef de groupe dont l'autorité tant spirituelle que matérielle est indiscutable. Je l'aime d'un amour sacré et d'un amour profane infinis l'un et l'autre, comme on adore un Dieu qui serait une Déesse, veux-je dire, comme on chérit une amante unique dans le temps et dans l'espace. Je lui suis soumise comme une bête à sa maîtresse et jamais je n'aurai d'autre maître"… Comment ne pas penser à un phénomène de type sectaire comme on en trouve chez les adeptes de la magie rouge de l'américain Pascal Beverley Randolph - et je pense ici à Maria de Naglowska, évoquée par Sarane Alexandrian dans le chapitre Maria de Naglowska et le satanisme féminin de son livre Les Libérateurs de l'Amour8, qui "fonda en 1932 à Paris la Confrérie de la Flèche d'Or, dont le but était de préparer le règne de la Mère (succédant au règne du Père et du Fils établi par l'ère chrétienne), en formant des 'prêtresses d'amour' capables de la fécondation morale des hommes. Son mouvement d'un féminisme superbe, au rituel codifié dans son livre La Lumière du Sexe (1933), prétendait neutraliser le Mal en lui opposant des actes sexuels religieux, exécutés sous la direction de prostituées sacrées comparables aux hiérodules de Byblos"9! Encore faut-il se mettre d'accord sur ce qu'est le Mal… Le court dialogue suivant semble bien aller dans ce sens, et même un peu plus loin, "la mise en gloire de Sarah Sand ne (pouvant) être qu'orgiaque" : "Que soit faite la volonté de la femme et que cède la vanité de l'homme. Je consens à tout" dit imprudemment Arnold. Et Miriam de répondre : "C'est bien ainsi que je l'entends, en bonne suivante des enseignements de ma maîtresse"…

Éros et Thanatos

     Au sortir, donc, du métro, d'un "séjour souterrain" qui évoque aussi bien les enfers des mythes grecs que la terre-mère comme première étape d'un parcours initiatique, et après une déambulation, en aveugle, un "long cheminement" dans le labyrinthe des petites rues de la rive gauche, notre Hugo Arnold, qui, pour aller au bout de son désir doit "perdre la conscience du monde extérieur, comme un mystique en quête d'une vision transcendante", est entrainé par sa jeune guide, qui prend soin, avant toute chose, de se ceindre la taille d'une ceinture en forme de serpent, rappelant l'Ouroboros des gnostiques10, vers le lieu de leurs futurs ébats après avoir franchi deux premières portes - extérieures - puis ce que Miriam nomme la "porte du départ", qui donne sur un escalier menant, au terme d'une dangereuse ascension, à la "porte de l'aboutissement", au "foutoir de Sarah Sand" - "la Folie particulière, la maison de plaisir, d'une vraie Fille du soleil et de ses suivantes, dont la préférée te dirige en marchant sur tes traces" ! Une Ascension dont le terme est, pour Hugo, peu conscient de "la puissance que la femme tient de sa parenté avec le monde de la terre élémentaire, celui de la croissance humaine, animale, végétale, géologique dans leur ensemble", "ce petit coin de paradis qu'elle (Miriam) lui a promis et dont elle sera le plus beau fruit offert à ses faims", "vaincue" telle la Briséis de L'Iliade à l'issue d'un jeu entamé "selon le commandement de Sarah Sand qui (la) livre à (lui)"… Le fruit de l'arbre de quelle connaissance ? Ce "coin de paradis" est situé dans un lieu aérien - car élevé - et particulièrement lumineux - donc solaire - , où prolifère une végétation luxuriante sous la forme de plantes exotiques hantée cependant par une faune inquiétante et notamment un très gros python "familier de la nudité des femmes et notamment de celle de (l)a maîtresse" des lieux, cette "Sarah Sand dont le personnage inconnu se dessine en (Hugo) de plus en plus fermement à mesure que s'embrume cette Miriam qu'il avait perdue, qu'il a retrouvée et qui est nue sous sa main dans l'actuel moment". Singulière nudité, cependant, que celle de la jeune femme sur le ventre de qui se distingue "rien d'autre que le minutieux tatouage d'un sphinx tête de mort, en zoologie Acherontia Atropos, peut-être un peu plus grand que grandeur nature, la tête dirigée vers la fente du sexe, la trompe confondue avec les premiers poils de la riche toison sombrement brune, les ailes repliées aux flancs du gros corps cylindrique, le thorax bombé sous les taches blanches qui peignent avec une précision à faire peur l'image d'un crâne humain placé comme un signal en avant de l'autre bouche qu'un peu plus bas la femme ouvre au plaisir commun". Comment mieux signifier la proximité d'Eros et de Thanatos !!

     Et de fait, après une scène érotique qui fait la part belle au "coq", le rituel consommé, le sacrifice aussi, peut-être ou sans doute, au moins, les préliminaires du sacrifice, "glacial est le regard" que jette Miriam à son partenaire, avant de le laisser brièvement à une "solitude en laquelle (il) est perdu au point de se chercher lui-même plutôt que d'essayer d'imaginer des espaces nouveaux autour de la femme qu'il croyait aimer, par laquelle il se croyait aimé…", puis de réapparaître, les doigts prolongés d'ongles postiches acérés pour effectuer sur son ventre, puis son visage, "une sorte de danse des couteaux menées par huit doigts des deux mains" qui finit par lui faire perdre toute superbe… Glissement de la magie rouge - bénéfique - à une forme de magie sexuelle beaucoup plus sombre, qui ressemble très fort à ce qu'Aleister Crowley nommait la Magick - le k évoquant le ktéis, nom grec du sexe féminin… Chassé (du paradis, donc), comme le lui dit son éphémère conquête, parce qu'il n'est qu'un de ces "pauvres impuissants spirituels, incapables de sentir le divin privilège que nous avons, nous, les comédiennes, qui jouons nos drames jusqu'à la mort, la nôtre ou bien le meurtre du partenaire" et parce qu'en ce lieu il semble habituel que les hommes, "après qu'ils ont servi à ce que l'on pouvait espérer d'eux, souillés comme ils sont, on les jette dehors, amants, seigneurs ou valets", Hugo redescend précipitamment l'escalier en un processus qui s'apparente à une Chute, avant d'entamer une errance à travers les rues, privé de toute identité sociale, étranger à lui-même, couverts de blessures sanguinolentes que Miriam en le congédiant lui a conseillé d'aller laver dans la Seine "en priant Isis, Déméter ou la Vierge, car de cette Divine Trinité, le fleuve est le siège autant que le conducteur"11… "Les édifices de bord de Seine, de l'autre côté de la chaussée, tremblent dans sa vision comme s'ils avaient perdu leur réalité solide et n'étaient plus que des fantasmes d'architecture prêts à se dissoudre dans un démesuré nuage bleu dont il n'est point certain qu'il ferait partie du ciel", nous dit le narrateur en évoquant le "monde antémiriamien" dont Hugo a "le sentiment qu'il est en train de se dissoudre"… Allusions, donc, implicites autant qu'explicites, et répétées, à un processus de dissolution, mais aussi d'aliénation au sens étymologique du mot, qui nous amène à un autre aspect du récit, son rapport à cette autre branche de la philosophie occulte qu'est l'alchimie.

Celle qui élève

     Au bout du rouleau, pieds nus et dépouillé de tous métaux, Hugo parvient à cette extrémité du square du Vert Galant, sur l'ile de la cité, qui n'est autre, rappelons-le, que l'ancienne ile aux Juifs sur laquelle fut brûlé, le 18 mars 1314, le dernier Grand Maître de l'Ordre des Templiers, Jacques de Molay, et y fait la rencontre, en la tirant du fleuve où elle se baigne, d'une certaine Mériem, doublet de Miriam, qui va le faire renaître à lui-même dans l'éclat d'un destin enfin librement assumé là où la suivante de Sarah Sand l'avait précipité dans les ténèbres de la non-existence… Cette Mériem, dont le nom signifie celle qui élève et qui semble être figure immémoriale de la femme, raconte à Hugo, en termes qu'on pourrait dire gnostiques, qu'un batelier lui apprit jadis, au pays des fleuves, semble-t-il, "à sortir d'elle et à quitter le plaisir charnel juste avant qu'il n'éclat(e) comme une juteuse figue", ajoutant : "Alors je reconnus que je n'étais plus que mon âme, suspendue, pourrais-je dire, au dessus de mon corps matériel"… Gnostique aussi, comme l'est au fond dans le ton le titre même du récit, Tout Disparaîtra, l'acte qu'elle pose en mettant fin à ses jours "pour trouver la voie de (s)on identité dernière" et "libér(er) son âme" ! Mais Mériem, surtout, en proposant à l'homme déchu un pacte de renaissance à lui-même, l'entrée dans un processus de "réintégration totale"12, tient, pour se définir en réponse aux interrogations de celui-ci, les propos suivants, pour le moins singuliers : "un Tombeau qui ne renferme point de Cadavre ; un Cadavre qui n'est point renfermé dans un Tombeau ; mais un Cadavre aussi qui est Tombeau à soi-même"… Or ces phrases, Hugo les connaît. Elles figurent sur la Pierre de Bologne, une stèle du XVIème siècle portant l'épitaphe hermétique d'une dénommée Ælia Lælia Crispis, "ni homme, ni femme, ni hermaphrodite/ Ni fille, ni jeune, ni vieille/ Ni chaste, ni prostituée, ni pudique/ mais tout cela ensemble" - "la fameuse gemme de Bologne sur laquelle se sont penchés tant de curieux" dont parle Mandiargues dans le Quatrième Belvédère13… Érigée par Achille Volta, Grand Maître de l'Ordine dei Cavalieri di Maria Gloriosa, encore nommés Frati Gaudenti ou Cavalieri Gaudenti, un Ordre présentant des similitudes avec celui des Templiers et peut-être aussi avec les mystérieux Fidèles d'Amour auquel appartint Dante, cette stèle a très vite éveillé l'intérêt des alchimistes, en particulier de Michael Maier, l'auteur de l'Atalanta Fugiens, le médecin de Rodolphe II de Habsbourg, ainsi que d'Athanase Kircher et plus près de nous de Gérard de Nerval, qui, la citant dans La Pandora14, en donne une des premières traductions, ou de Carl-Gustav Jung. Ælia Lælia Crispis serait, en fait, la Materia Prima des Artistes et le texte de l'épitaphe, qui n'est pas sans rapport avec certaines inscriptions hermétiques figurant sur les monuments des Jardins de Bomarzo auxquels Mandiargues a consacré un ouvrage15, décrirait, dit-on, la succession des transformations alchimiques aboutissant à la Pierre Philosophale !

     En 1980, Mandiargues, chez qui s'est, comme le fait observer Claude Leroy16, progressivement "élaboré un mythe personnel des plus fascinants à partir des 'laisses' mythologiques que le poète s'est appropriées afin de remonter aux sources de son imaginaire", regrettait en termes guénoniens, que "dans la fin de cycle où nous sommes entrés", nous ayons vu "le sinistre féminisme faire tomber du ciel à la voirie cette féminité transcendante, souveraine de la création et de tout l'univers considéré comme infini naturel, devant laquelle s'exaltait le poète, tandis que l'homme, en allant piétiner la Lune, luminaire féminin selon les traditions, a peut-être préludé à l'extinction de son espèce sur la terre"17 mais peu nombreux sont les textes, dans l'œuvre toute entière, où l'on mesure aussi clairement que dans ce récit tardif, au ton indiscutablement nervalien, la profondeur d'une imprégnation ésotérique décelable au demeurant dans celles de si nombreux surréalistes…

Patrick Lepetit
La NRM  n°30 - Été 2012

  • Patrick LEPETIT est l'auteur de Le surréalisme, parcours souterrain (éditions Dervy, 2012)

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1- Propos recueillis par Gérard Macé. Libération, 9 janvier 1984.
2- Tzvetan Todorov : Introduction à la Littérature Fantastique. Editions du Seuil, 1970. P. 29.

3- Alain-Pierre Pillet : Paysage Poétique d'André Pieyre de Mandiargues. Editions Rafael de Surtis, 1999. Pp 8-9. Les citations de Mandiargues sont extraites de Le Désordre de la Mémoire. Gallimard, 1975.
4- Gallimard, 1987.
5- Sarane Alexandrian. Histoire de la Philosophie Occulte. Seghers, 1983.
6- À moins qu'il ne s'agisse de Perséphone !
7- Arcimboldo le Merveilleux. Robert Laffont, 1977
8- Sarane Alexandrian. Les Libérateurs de l'Amour. Editions du Seuil, 1977.
9- Sarane Alexandrian. Histoire de la Philosophie Occulte, op. cit.
10-"Les premiers alchimistes grecs", nous dit le même Sarane Alexandrian, "étant des gnostiques, prirent l'Ouroboros comme emblème de la dissolution de la matière, ce que précise Olympiodore : 'Le serpent Ouroboros, c'est la composition qui dans son ensemble est dévorée et fondue, dissoute et transformée par la fermentation' ". Histoire de la Philosophie Occulte, op. cit.
11-"La Grande Déesse, dans le ciel et sur la terre, c'est Isis, dont Pandora, qui est infiniment plus que la Pandore du mythe, me semble être une réduction à l'échelle humaine". APM, La Pandora in Quatrième Belvédère. Gallimard, 1995. Aucune malencontreuse allusion au christianisme ici, de surcroit : la Vierge n'est qu'un avatar de ladite Grande Déesse !
12- Claude Tarnaud.
13- Quatrième Belvédère. Op. cit.
14- "La Pandora (…) nous apparaît aujourd'hui dans l'éclat d'une véritable illumination, plus surréaliste peut-être que romantique ". A.P.M. La Pandora in Quatrième Belvédère. Op. cit.
15- Les Monstres de Bomarzo. Grasset, 1957.
16- In Les Dessous de la Craie, préface de Claude Leroy à son édition d'Ecriture Ineffable et autres textes d'APM en Poésie/Gallimard (2010).
17- La Pandora, op. cit.


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