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Prolifération
Les Amazones, que Jules Crevaux croyait être des épouses répudiées, étaient en fait des femmes qui, après avoir reçu du plaisir d'Aloupimpin, avaient égorgé leurs maris incapables d'égaler sa force et de faire vibrer leur chair derrière lui.

Par des grottes de montagnes, les meurtrières en fuite allèrent se réfugier dans le monde d'en bas, parmi ceux qui vivent sous la terre, où elles formèrent une tribu guerrière. Depuis lors, elles ne reviennent dans le monde d'ici que lorsqu'elles ont à se venger de mâles qui s'en sont pris à l'une de leurs pareilles.

Aloupimpim a un pénis qui se déroule comme un serpentin. Son sexe possède une tête de serpent. C'est un vit démesuré qui s'allonge comme un élastique pour capturer ses proies et devient un wacapou1 pour les honorer. Entre elles, les femmes se racontent les exploits de cet Aloupimpim-là. La grand'mère autant que la mère vantent les prouesses du priape à leurs filles. Toutes rêvent de lui en secret. C'est pour lui complaire et le séduire qu'elles se peignent des lignes courbes et des spirales sur le visage. C'est pour lui qu'elles se font belles.

Pourtant, Aloupimpim n'a pas de respect pour les femmes. Si la chair des pierres était douce et tendre, Aloupimpim honorerait les roches de la sylve tout aussi bien que les femelles des hommes. Cet Aloupimpim-ci n'a pas d'âme, et bien des femmes qu'il a connues ont perdu la leur en s'abandonnant à lui, sans jamais éprouver pour autant la joie qu'elles espéraient de son étreinte. Dans sa course au plaisir, Aloupimpim n'hésite pas à forcer les créatures, quitte à les détruire. Il a enlevé bien des jeunes filles, des fillettes, des enfants. Il y en a trop que l'on n'a jamais revues, ou que l'on a retrouvées, le corps meurtri, muettes et tremblantes à jamais !

Un matin qu'on avait découvert l'une de ses pauvres victimes, tout effarée, errant sur le bord du fleuve après qu'il l'eût déflorée, le tamouchi dit : cette fois, ça suffit ! La petite était très jeune, un bambin encore. Elle était la gaîté même et tout le village l'adorait. Personne ne pouvait admettre qu'Aloupimpim eût ravagé son innocence, c'est pourquoi le tamouchi avait dit : ça suffit.

Alors les chasseurs partirent à la poursuite d'Aloupimpin. Sur ses pas, ils étaient des ombres dans la brousse. Ils le traquaient sans relâche tandis que lui, tout à ses plaisirs, ne se doutait de rien, A son insu, ils ne le quittaient pas d'un pied ; ils l'observaient dans ses frasques ; ils l'épiaient dans ses orgies. Leurs yeux étaient les yeux de la forêt. Pas un geste du génie pervers ne leur échappait, pas un de ses déplacements, aucun de ses actes. Sur ses talons sans cesse, ils guettaient le moment propice à la vengeance que le tamouchi leur avait confiée.

Ce moment arriva un jour qu'Aloupimpim, vaincu par la fatigue de ses débauches, avait pris le parti de s'accorder du repos. Le surmâle s'était assis sur un chablis, adossé à la souche, coincé entre deux grosses racines qui lui faisaient comme les bras d'un fauteuil, son engin détendu posé entre ses jambes sur le tronc géant de l'arbre tombé. Quand il se fut assoupi, au plus profond de son sommeil, les chasseurs s'approchèrent de lui à pas de tigre et, d'un coup, vite, ils entravèrent ses membres avec des liens d'écorce et des chevilles de bois qu'ils avaient préparés à cette fin.

Malgré leur vivacité, pourtant, ils n'avaient pas pensé à se saisir du sexe de leur capture qui se dressa dans le ciel, immense comme un anaconda et se mit à les flageller et à les assommer, tour à tour fouet et gourdin, à les étrangler et à les estourbir. Les chasseurs étaient nombreux et armés de grands sabres d'abattis, de solides lames tramontines qu'ils avaient troquées à Maripasoula, contre des parures de plumes. Aussi, sans se préoccuper de leurs pertes nombreuses, ils frappèrent de leurs machettes le pénis enchanté d'Aloupimpim. Leurs armes firent merveille et, aussi dur fût-il, ils le tronçonnèrent en cent morceaux, au moins, car leurs bras étaient forts, et leurs poignets solides.

Alors, il arriva ce qu'aucun d'entre eux n'avait prévu. Les tronçons du chibre tranché se mirent à grouiller, animés d'une vie propre, comme les fragments d'un ver de terre qu'ils auraient débité. Mais au lieu de se battre chacun, à la façon du membre géant qu'ils avaient formé, les bouts de vit se dispersèrent dans la broussaille et se mirent en un clin d'œil hors de portée des chasseurs.

Depuis, chacun de ces tronçons, devenu un autre Aloupimpim, continue à hanter les abords des villages pour abuser des très jeunes filles. Car, en n'appréhendant pas la cause du mal, la vengeance des chasseurs n'a eu d'autre résultat que d'en disséminer les effets.

Voici, à quelques détails près, l'histoire que me conta le Roucouyenne.

Flanjou
La NRM   n°22 - Eté 2008
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1 - Arbre géant de la forêt primaire.

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