Nous avions tartiné
le romantisme eighties de stylo feutre fuchsia et de moutarde puis
nous lui avions brûlé la racine des plumes si bien que
ça sentait la baraque à frites. En représailles,
j'ai fait l'objet d'une tentative d'ensorcellement qui s'est révélée
caduque puisque le loa avait été expulsé de mon
reliquaire, lentement, sous l'effet de la compression de ses ventricules.
Ma tête roulait bien
au-dessous de la fenêtre. Il n'y avait rien pour la caler. Elle
roulait donc comme un caillou. Elle aurait roulé ainsi jusqu'au
matin à moins que je ne sois parvenu à la perdre.
Les fesses d'Anita m'observaient.
Elles filaient sur l'horizon du mur comme un voilier, la toile écrue
gonflée par le vent des globes. C'était magnifique.
Les fesses d'Anita m'observaient.
J'avais à faire à un satellite espion. Les dessous de
la carte d'état major me révélaient des raccourcis
inimaginables. Soudain, Anita s'est retournée pour me recommander
l'apaisement en m'expliquant qu'on en avait vu d'autres. Il ne nous
a manqué que la fraîcheur du petit matin que nous aurions
dû, en toute logique, savourer comme un verre de gin.
Nous avions vu le petit matin
se blottir dans la fenêtre, comme un oiseau. Tout était
possible. L'appartement disposait de toutes les commodités.
Il y avait une gazinière début de siècle avec
poignée en laiton. L'évier à double bac en inox,
embusqué sous la fenêtre, était un gage de confort.
En me penchant par-dessus l'égouttoir, mon visage a reçu
la caresse du tout premier chewing-gum à la pêche-abricot
partagé avec une cousine au milieu d'un champ de blé.
Les pieds tout doucement dans l'eau froide. J'aimais les pieds de
Virginie. J'aimais la mine boudeuse de Virginie (Elle ne boudait pas,
c'était sa tête normale). Le noir de ses cils formait
des gouttes de rosée. Qu'est ce que nos âmes ont bien
pu se raconter tandis que nous traversions la nuit de la ville ?
Je tournais le dos au lit qui m'ouvrait
les bras comme une mère. Ces bras me faisaient des ailes superbes
tant que je regardais par la fenêtre, je n'ai pas bougé.
Le père d'Anita était
un original. Il fumait du cognac avec une gestuelle de maniaque. Il
s'adonnait à l'exercice de voyance sous les tôles en
fibrociment de sa véranda. Un jour d'émotion, il avait
voulu précipiter mon ami en bas des escaliers d'une chambre
de bonne. Il faut dire que les jambes d'Anita étaient longues
et blanches et posées sur le coussin d'un lit d'adolescente
comme par l'opération du Saint-Esprit. Par le rayonnement de
la porte entrebâillée, on aurait juré la Vierge
au creux du chêne d'Allouville-Bellefosse. Avec le temps, le
père d'Anita avait su se montrer affable mais mon ami craignait
qu'il ne surgisse brusquement d'une huître de Cancale avec la
prestance d'un monarque dégénéré. Il m'avait
dépeint couronné d'une bouteille d'eau de vie sous l'armoire
à pharmacie de sa véranda. Je n'ai jamais su décrire
ce que m'inspirait ce portrait mais son souvenir m'assèche
la bouche.
Le tout premier appartement
d'Anita était situé dans un quartier cosmopolite, en
périphérie de la métropole car elle se destinait
à une carrière dans l'administration économique
et sociale. Lorsque je m'y suis éveillé pour la première
fois, Anita était absente, j'ai pris part à un concours
de chenille. Nous étions quatre. Chacun a parié sur
son propre bétail. Bien qu'il y ait eu plusieurs chocs assez
lourds, à peine amortis par la moquette bleue qui recouvrait
le béton du sol, nous n'avons jamais connu l'issue de ce concours.
Par la suite, Anita a hébergé sa sur Monique qui
se destinait également à une carrière dans l'administration
économique et sociale. À cette époque je côtoyais
plusieurs personnes en préparation de diplômes d'administration
économique et sociale. Indépendamment des taux de réussite
qui circulaient de bouche à oreille dans les amphithéâtres,
je n'ai jamais entendu parler d'une personne reçue à
un quelconque examen. Cependant, il est facile de constater que nous
travaillons tous dans l'administration économique et sociale.
Pour s'en convaincre, il suffit d'imaginer la situation suivante :
des convives autour d'une table. Un individu prend la parole en apostrophant
au hasard comme en plein acte surréaliste : " Ainsi vous
travaillez dans l'administration économique et sociale
" La personne touchée par le sort commencera vraisemblablement
par nier, prétendant qu'il y a erreur. Si l'individu insiste,
un sentiment d'embarras gagnera l'assemblée jusqu'à
provoquer l'épanchement des aisselles. Après avoir entendu
la même phrase plusieurs dizaines de fois, la personne touchée
au vif entrera dans une colère irréversible, prouvant
par la passion de cette réaction qu'elle travaille bel et bien
dans l'administration économique et sociale.
Le cursus de Virginie la conduit
aujourd'hui à aligner des têtes de poisson avec une règle
en fer. Qu'est-ce que la sociologie des sardines en situation d'éducation
post mortem sinon de l'administration économique et sociale
? Quand je faisais part à Virginie de la gêne que me
causait l'odeur des têtes de poisson au petit matin, ce qui
mettait directement en cause sa méthodologie, elle me répondait
avec douceur. Je réalisais alors qu'elle comprenait que j'en
savais beaucoup plus long qu'il n'y paraissait.
L'écriture limpide
sur un carré de papier dentelle, deux heures de bière
inquantifiables, il y avait peut-être aussi du Perrier (Un jeune
avait posé l'autoradio de sa voiture sur le comptoir comme
un colt), une pizza sous la verrière : Il y avait tout le début
d'un livre. Où en était notre intimité quand
Bel Ami est débarqué de l'Ouest profond ? À cette
époque, je ne jouais pas de la guitare comme Björn Borg.
Bel Ami, en revanche, tenait sa raquette de tennis comme pour la vidange
d'une fosse septique, le menton au ras du sol, dans une lamentable
posture de grand écart de ducasse. Virginie Baudelaire et Bel
Ami from Wild West ? Aurais-je pu être de ce salon nuptial comme
un regret pendu par l'orteil, juste pour vérifier, pendant
une seconde ?
La maison du pêcheur
n'était pas plus grande qu'une coque de barque à l'envers.
Il y régnait des toiles d'araignées et de la poussière.
Anita s'était mise en tête de laver toute la vaisselle
de la maison à grande eau. Nous n'avons pas voulu la contrarier.
Les pièces de ménage ont été rassemblées
en monticule dans l'évier. Il n'y avait plus suffisamment de
place pour l'eau. Tout a débordé et nous avons du continuer
la vaisselle dans nos chaussettes. C'était incroyable. Puis
elle s'est calmée, elle est devenue adorable. Elle a eu envie
de m'emmener sur cette plage chérie comme aucun autre endroit
au monde. À la fin de la terre, sous des jupons d'écume,
j'ai retrouvé l'empreinte des pieds tout doucement dans l'eau
froide.
Anita était adorable,
elle nous faisait des crêpes. Nous aurions probablement entamé
une existence de patriarche si cette fille en robe noire n'avait pas
garé son vélo devant le salon de coiffure. Dès
lors, l'idée d'une bonne et vieille rançon nous a tourmentés
jusqu'à la fin de nos jours.
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