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Je
me trouve en Belgique, sur une petite place où l'on vend des
livres, près d'un groupe de maisons de brique rouge. J'ai emporté
avec moi Mélancolia et Tatiana, les deux belles poupées
de Marie Noël, ainsi que le carnet noir où je note mes
rêves. Les livres sont exposés à l'extérieur
mais j'aperçois aussi des volumes disposés derrière
les fenêtres du rez-de-chaussée d'une maison ancienne.
Il fait beau et je me sens bien dans cet endroit. Il y a des enfants
qui jouent, mêlés aux adultes qui cherchent des livres.
C'est bientôt l'heure de la fermeture. Une dame assez forte
que je reconnais, puisque c'est une des vendeuses de la Bourse aux
livres de Tournai, demande aux clients de se rapprocher de la caisse.
Une petite queue se forme et j'y prends ma place. Je suis bien encombré
avec mes achats, et par commodité je pose les poupées
et le carnet noir sur une table près de moi en attendant mon
tour. Au moment de me présenter à la caisse, panique
! Les poupées et mon carnet ne sont plus là. La vendeuse
comprend mon ennui et m'indique qu'elle va aller demander si quelqu'un
les a vues. Elle revient peu après, habillée comme pour
sortir. Voyant que je n'ai pas retrouvé les poupées,
elle repart sans donner d'explications. |
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De
mon côté, j'interroge les enfants qui sont encore là.
Peut-être ce garçon d'une dizaine d'années qui joue
avec des petites voitures et des animaux en plastique les a-t-il remarquées
? Il semble ignorer leur existence et me répond à peine.
La femme ne revient pas. Je descends la
petite rue dans laquelle elle s'est engagée pour tenter de la retrouver.
En bas de la pente, une halle ouverte sur la rue m'offre un spectacle
surprenant.
Faiblement éclairés par une
lumière tamisée, une vingtaine d'hommes d'allure bizarre
dodelinent de la tête au son d'une musique que je n'entends pas,
même si j'aperçois des musiciens dans le coin gauche de la
scène. Le plus étonnant, c'est qu'un homme aux cheveux noirs
semble multiplié plusieurs fois. Ils sont plusieurs à présenter
le même visage avec des expressions à peine différentes.
J'en suis si surpris que mes yeux passent de l'un à l'autre pour
comparer leurs traits. Est-ce que ce sont des frères, des jumeaux,
des clones ? [Au réveil, je réalise qu'ils ressemblent tous
à l'actuel préfet de Picardie].
Les autres ont l'air de déficients
mentaux ; je remarque trois nains à très petite tête.
Ma présence ne les laisse pas indifférents. Le groupe s'agite,
son harmonie est troublée. Les voilà qui me regardent à
leur tour. Un des nains à petite tête s'approche de moi.
Saisi d'un involontaire mouvement de recul,
je m'éloigne et remonte la ruelle en direction de l'endroit où
Mélancolia et Tatiana ont disparu. Je redoute de devoir annoncer
à Marie que ses poupées sont perdues. Les lieux où
je me trouve, qui m'ont d'abord paru familiers et rassurants, me semblent
à présent inquiétants et hostiles. Derrière
les façades, il se passe des choses que je ne comprends pas.
Toujours à la recherche des poupées,
je passe devant une maison éclairée dont la porte est ouverte.
Je m'avance sur le seuil. Le couloir d'entrée donne sur une chambre
d'enfant. Les poupées, peut-être ?... J'aperçois une
fillette à demi allongée sur le dos qui se balance en cadence
en serrant contre elle son nounours. Elle est si absorbée par son
jeu que je me retire avant qu'elle m'ait aperçu ; je renonce à
la questionner sur les poupées.
Revenu sur la place où l'on vendait
des livres, je vois sortir un couple de la cabine d'une camionnette blanche
à plateau. La femme est blonde et le type a l'air costaud. Ils
ont la trentaine et sont vêtus d'un jean et d'un T-shirt bleu marine.
Munis d'un marteau et d'un burin, ils s'attaquent aussitôt à
une vitrine qu'ils commencent à casser sans s'occuper de moi. Supposant
qu'ils sont venus pour tout détruire, je retourne vers les bâtiments
principaux pour alerter les responsables.
La femme de la caisse s'est évaporée. Je finis par trouver
un jeune homme qui accepte de m'accompagner. Alors que nous remontons
la rue, une voiture peinte d'un vert vif sort de son stationnement en
marche arrière, me touche et manque de me bousculer. Le conducteur
est un jeune homme aux yeux fous qui semble ivre ou drogué.
Après cet incident, nous parvenons
à l'endroit où se trouvait la bouquinerie. Les lieux ont
changé d'apparence. Monsieur Muscle et la blonde sont repartis
après avoir entièrement démoli la façade de
la maison à laquelle ils se sont attaqués. Elle cachait
une ancienne tonnelle vitrée de forme ovale, désormais joliment
mise en valeur. Je comprends que le quartier va être entièrement
rénové, sur le modèle de ces sites impeccables et
presque trop nets que l'on trouve à présent un peu partout
dans les Flandres. Parmi les gravats, j'aperçois au sol un mélange
de jouets et d'animaux naturalisés d'où émerge la
forme d'un tatou. J'ai envie de l'emporter, mais il est en piètre
état. Je ne vois toujours aucune trace des poupées. Je m'éveille
sur la tristesse de les avoir perdues
jusqu'à ce que je prenne
conscience qu'elles n'ont pas dû quitter le canapé du salon
où elles m'attendent sans aucun doute avec cet air boudeur et indéfinissable
qui ne les quitte jamais.
Philippe
Lemaire
Nuit du 10 septembre
2013
La NRM
n°34
- Décembre 2013
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