Par touches successives

 

D'abord le noir et blanc. Le décor. L'ambiance. La scéno. Le fond.

Je suis de dos.

Mots émiettés :

 

"Je voudrais être un oiseau" Collage de Philippe Lemaire © 5 novembre 2013.

Corps/ correspondances/ connexions/ coutures/ raccommodages/conjoints/ contours/ Con/trois tours et puis s'en vont/ ritournelle/ elle et moi/ lui / elle et moi/ elle/ elle sans moi surtout. Sans jamais moi. Née jamais.

Liaison singulière entre mots et images/couleurs formes et tracés/dans la tension entre choses vues et lignes inventées se loge le mystère de l'écriture, l'endroit, le creux où se blottir, poser ma main, pour dérouler la vie écrite.

Donc naître enfin.

Doucement arrive le présent. Un peu de couleur sur ma robe :
Voir le jour.

Accepter la lumière. La réclamer.

Le texte qui réconcilierait le cru et le cuit/ le masculin et féminin/ l'enfant et le parent/ le haut et le bas/ l'âme et le corps/ parce que sans ça ils sont pour moi toujours en train de s'entretuer. Ils gueulent. Ils se font la gueule. Ils m'excluent. Ils me font taire. Yin/ Yang/ bang bang he shot me down/ dingue et lunaire.

C'est la représentation primitive que j'ai du monde. Une guerre perpétuelle, un conflit généralisé entre les gens, les cellules, une lutte des classes à mort. Un combat où au final je reste encombrée de mon rocher, empêtrée dans mes chaînes, reléguée au fond, à côté.

À faire sauter.

Genre on est de la baise quoi qu'on fasse. La loose face aux winners.

J'apparais timidement sur l'image. De la couleur aussi sur le corsage :

Les images sont-elles des corps morts pour moi ? Des absents éteints et lointains qu'il me plaît de déterrer. Qu'il me faut déterrer pour faire surface, pour être là. Les restes d'une histoire qui a été vécue, racontée déjà. En sommeil. En souffrance. Enfouie. En allée. Partagée.

Ressusciter une histoire qui sans doute a été la mienne et celle de mes ancêtres, ma légende, ma fiction, mon conte d'avant, des chants d'enfant. Des mélodies de vieux. Des tubes des années périmées.

Mon regard s'accroche aux échos de ces images silencieuses pour rester en vie sans doute. Pour ne pas chavirer. Pour ne pas tomber les rejoindre. Ceux du milieu. De la vie normale, dite d'ici et maintenant.

Mes morts mes chéris sont plus en vie que ceux là qui ont renoncé. Mon corps est traversé de héros de dieux de solitaires égarés de femmes insoumises et appétissantes qui dansent la valse dans les bouibouis.

Et qui ont une âme forte.

Je me mets au centre.

Je me retourne délicatement.

Je suis de profil.

Alors je me rapproche en écrivant, en lisant, pour me consoler, alors j'écris pour éloigner un peu la peine, virer la mélancolie, la souffler comme on souffle une bougie, alors j'essaie les mots pour atténuer la misère, l'apprivoiser, la rendre moins méchante, arrogante, moins agressive, l'amadouer un peu, la faire déguerpir de ma vie.

Il se pose sur ma main.

Alors les bruits du monde cessent de couvrir le pépiement complice de cet oiseau marrant.

J'entends ma voix.

Il attendait depuis belle lurette que je veuille bien le percher sur ma main pour qu'ensemble on perde pied, on s'envoie en l'air et abandonne les rochers creux, les terrains giboyeux et les sols marécageux.

Les indignes.

J'entends sa musique et je gazouille, je me fais belle et je suis reine.

En couleur.

Vous m'avez vue ?

 Géraldine Serbourdin
Sur un collage de Philippe Lemaire, "Je voudrais être un oiseau".
19 décembre 2013, 17h.
La NRM  n°35 - Décembre 2014

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