... à Zéo Zigzags

Les merveilleux nuages.
Collage de Philippe Lemaire. (Passer votre curseur sur l'image pour la retourner).

 

 


Nuages

(prose circulaire)


il se souvient du canard siffleur mexicain. Il le rencontra
pour la première fois dans un roman de James Crumley. C'est
une statuette ou plutôt un truc de plâtre peint fabriqué et
vendu en série dans les magasins de fouffes. L'idée s'ouvre
un chemin méandreux dans le labyrinthe des circonvolutions,
la jungle des axones et dendrites, le nuage électronique de
son cerveau : ce palmipède musicien lui rappelle un rapace,
le faucon de Malte (comme en un plomb vil l'or s'est fondu)
d'un autre romancier de l'école des durs à cuir(e), son nom
signé aux pointes de ses moustaches, Dashiell Hammett. Dans
un champ de blé rouge rouille, s'entrebaîlle la porte glace
noire de la penderie aux souvenirs : tibias nus lacérés par
les éteules, odeur de poussière, bourdonnement nocturne des
batteuses, théorie des tracteurs (livrer le bon grain) vers
les silos de Poisonville. Le saigneur des porcheries attend
sa dîme. C'est lui qui jettera les perles de semoule à tous
les cochons de la cité. Le Sénateur-Maire préside le Centre
Communal d'Action Sociale (Cin&Cure d'Apparatchik Suprême).

 

Il entend Papa Tzara à cheval sur son dada, déclamant qu'il
ira de Calais à Saint-Omer chercher des pommes de terre. Il
le rencontra près de l'ascenseur à bateaux. C'est une façon
d'enjamber les courbes de niveaux en respectant le principe
des vases communicants. Le cavalier à dada sur son bidet se
targuait d'autres préceptes hygiénistes, bien dans l'air du
temps, mangeant du veau en buvant du vin de cassis coupé de
picon-bière ou champagne, tournant sept fois le majeur dans
la purée avant de la refroidir en soufflant dessus des vers
d'Alphonse de Lamartine. Au bord du lac de Paul Bourget, il
aperçoit dans la brume une silhouette cygnesque et la porte
de l'armoire aux réminiscences s'entrebaîlle à nouveau : un
chevalier gambette gambade lourdement vers la rive, empêtré
dans son attirail métallique, un exosquelette inoxydable et
cliquetant. Après quelques pas dans le fleuve, il s'enfonce
dans la vase, communiquant en une sorte de morse sous-marin
dans l'émission désordonnée de bulles d'air qui cesse après
quelques minutes. Comme un dindon, il rend le dernier glou.

 

Il regarde défiler le régime en nuages. Du blanc gris noir.
Du silencieux mouillé en tonnerre éclair. Il rencontra dans
un rêve des cirrus et trois Anglais, un cumulus et un autre
nu, des nues et des nuées de tous fondements, métaphysiques
ou maquereaux économiques. De petits nimbus ressemblaient à
des mandorles noyaux de pêche. Poussés par un chaud vent de
sud-est, ils avaient été sucés par des daudets en pagnoles,
des mistraux angionaux et des bleines izzocèles. Réveillé à
l'aube, il avait oublié les merveilleux nuages. Il prit son
gazouilleur sur la table de nuit, souffla sur la surface de
l'écran pour le ranimer. Princesse Brigetoune apparut. Elle
était la vigie sans pareille, une légendaire aide-mémoire à
toute heure pour les égarés de la toile synthétique. Nuages
et un point d'interrogation pour déclencher la réponse. Une
bousculade de pique-sels assaisonne l'écran. Voyage céleste
en ligne droite (zéro zigzag) vers le superamas en cinérama
virturéel. Image émouvante, les nuages d'oiseaux deviennent
des oiseaux de nuages, rapaces, palmipèdes, rapalmipèdes et

 

Lucien Suel
La NRM   n°32 - Printemps 2013