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Dominique Joye est
facteur et sa formation ne doit rien aux écoles d'art.
L'exposition d'assemblages et de sculptures qu'il présente
à l'Hospice Gantois à Lille est de toute beauté.
Elle trouve dans cet écrin un supplément d'âme.
La lumière des Flandres imprègne ces murs. Les humbles
outils qui sont la matière première de Dominique
Joye viennent témoigner des pouvoirs de la vue, de la main,
et de l'esprit humain. Dans les galeries, entre l'ancienne chapelle
et la bibliothèque, les objets remodelés reprennent
vie. Ici, une famille en visite. Là, une foule. Ici encore,
une femme au balcon. Une amazone. Des danseurs. Un couple d'antilopes,
une scène de tauromachie
Tous ces êtres naissent
et s'émancipent de la forme initiale, vouée à
l'utilité. Les dents d'une fourche deviennent des cornes,
le pic d'une pioche s'élance comme une jambe tendue, un
coupe-frites se métamorphose en chat ou en singe. Une forme
en appelle une autre, et c'est en suivant leur dictée que
Dominique Joye fait éclore une autre dimension des choses.
L'il et la main font alliance pour faire surgir un monde
parallèle, celui que l'Homo sapiens n'a cessé
d'imaginer et de récréer depuis dix, vingt, trente
mille ans. On ne s'étonne pas de trouver des uvres
titrées "Lascaux" ou "Art premier".
Duchamp apposait sa signature à un objet trivial (urinoir
ou porte-bouteilles). Dominique Joye transcende l'objet usuel
en y scellant sa touche : le soudage de deux outils que leur usage
traditionnel ne destinait pas à se rencontrer, le collage
d'une tête sculptée qui soudain leur prête
vie, une géométrie intuitive qui donne son élan
au métal peint. Loin de faire tourner ses découvertes
au procédé, il invente sans cesse de nouveaux assemblages,
de nouveaux personnages, de nouvelles mises en situation. Ses
créations sont portées par un souffle qui leur donne
toujours plus de grâce et de légèreté.
Elles surprennent et émerveillent le regardeur. Moins de
huit jours après le vernissage, 80% des uvres exposées
étaient déjà réservées ! C'est
dire que la sensibilité qu'il exprime en faisant parler
"joye" (prononcer "joie") l'outillage de nos
aînés, paysans et ouvriers, puise dans nos racines
profondes. Il nous rappelle tout simplement qu'en marge du monde
quotidien voué à l'efficacité, à la
peine et à la mort, l'homme a le pouvoir d'accéder
à la magie par le miracle de la création.
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