Moisson

Le champ descend en pente douce et le regard prend en enfilade les alignements de bottes de paille dressées en meules, sous un ciel tout bleu…

Posée sur une toile de jute tendue sur le sol hérissé d'éteules, adossée à l'une de ces huttes appelées ici " cahots ", elle aperçoit les femmes, fichu blanc prenant tout le front, et les hommes en maillots de corps qui s'affairent, plus bas, autour de la moissonneuse-batteuse…

Le grondement des tracteurs s'éloignant puis se rapprochant la berce de son va et vient, et ses yeux se ferment…

Insensiblement les machines sont parvenues à la pointe extrême du grand champ en contrebas ; elle perçoit encore un bourdonnement qui peu à peu s'affaiblit, et s'endort dans la chaleur bruissante d'insectes.

Maintenant l'ombre l'enveloppe ; tout s'est tu ; dérangée peut-être par cette qualité nouvelle des choses et de l'air autour d'elle, oppressée de silence, elle se réveille dans un hurlement… Personne… à perte de vue… seule… Ses yeux se plissent ; l'air grince d'insectes et elle sursaute quand une vibration d'ailes frôle sa joue…

Et longtemps, longtemps, elle crie ; il faut une éternité pour ramener à elle, accourue du bout de l'horizon, essoufflée, suante, écarlate, sa grand-mère, et, dans son sillage, un essaim de paysans ameutés…

Annie Wallois
La NRM
n°16  - Juin 2006