Mon mari aime que les choses
soient carrées, cadrées. J'aime son ordre,
son côté ordonné, son côté
cadre. Mon mari est cadre. J'aime mon mari cadre. Il est
soigné et décoré. J'aime mon intérieur
comme mon mari. Mon cadre de vie. Soigné, décoré,
quadrillé. Je soigne mon intérieur comme
je décore mon mari. Je cadre mon mari comme j'encadre
les tableaux mon intérieur. Je me ménage.
Je ménage mon mari comme mon mari m'aime. Il m'aime
ménagère. Même âgée mon
mari m'aimera. C'est écrit. Entendu. Chaque chose
à sa place à la maison. Rien ne dépasse,
rien ne jure. À chaque pot son couvercle, chaque
vase ses fleurs, chaque carré son pré. Mon
mari et moi aimons l'ordre et la mesure, l'ordre et le
luxe, l'art et la beauté épinglés,
encadrés, accrochés. Mon mari et moi sommes
bien mis, élégants et bien élevés.
Mon mari me respecte et je l'attends sagement installée,
une revue à la main. Tirée à quatre
épingles. J'attends son argent, j'attends sa journée,
j'attends sagement.
Mon mari m'aime ainsi sage. Assise et sage. Assagie par
lui. À ses ordres. À sa botte. À
ses pieds. Assise et sotte. Sautée par lui. Sans
sourciller. Sans oser. Sans rien sentir. Mon mari cadre.
Si j'osais
cependant, mon père, ou vous, tiens, vous qui ne
faites que passer,
Si j'osais raconter le désordre, le fouillis, le
sauvage, le pas net.
Si j'osais dire le souffle du plaisir, l'envol des papillons
de mes nuits qui taguent et brouillent mes après-midis.
Si je pouvais je dirais l'envie des corps troués,
des membres noués, des muscles bandés, j'avouerais
mes désirs tordus, je confesserais mes images de
fesses charnues, de coïts ininterrompus.
Si j'osais
dégrafer ma jupe et balancer ma revue, je me joindrais
aux ailes colorées, je halèterais, gémirais,
crierais, je me ferais mettre, grimper, bousculer sur
la table démise.
Si j'osais j'oserais le risque, le chaos, la lumière.
Mais j'aime
mon mari cadreur de mes envies.
J'aime les cadres et les vues carrées, sans écart,
j'aime que mon mari me recadre.
Que voulez-vous ?