REDECOUVRIR
KLOSSOWSKI
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Hervé
Castanet, professeur des universités, membre de l'Ecole de la Cause
freudienne et de l'Association mondiale de psychanalyse. Psychanalyste
à Marseille, il a publié une dizaine de livres notamment sur la clinique
du regard, la perversion et le noeud qui lie et par fois dé-lie la littérature
et la psychanalyse. Il est enfin de directeur de la revue "Il Particolare",
qui elle aussi fait le pont entre ces deux champs et a publié des corpus
important (par exemple sur Prigent). On a pu y découvrir aussi l'ébauche
du livre que Castanet propose sur Klossowski.* C'est là une véritable somme "athéologique"
-sur un artiste et écrivain admiré par ses pairs (Bataille, Blanchot,
Parain, Foucault, Deleuze, Lacan),mais aujourd'hui encore trop partiellement
(re)connu.
"La
Pantomime des esprits" possède, entre autres intérêts, l'immense
mérite d'aborder l'œuvre de l'auteur (1905-2001) dans tout son ensemble
et sa progression. Non seulement Castanet rappelle preuves à l'appui
que Klossowski est non seulement un grand écrivain et un grand
peintre mais aussi qu'il demeure un important théoricien, un grand
traducteur du latin et de l'allemand. La somme de l'analyste tourne
autour du regard porté à son incandescence métamorphosant ceux qui le
rencontrent. Ainsi, et par exemple, le destin d'Actéon, auquel l'auteur
et ses héros masculins sont identifiés, est toujours en point de mire.
D'où la question essentiel que pose le critique : Comment voir - puisque
l'âme demeure l'organe noble selon les docteurs de l'Église - l'invisible
et paradoxale divinité qui l'habite ? C'est bien cette problématique
qui harcèle Klossowski et qu'il déplace dans des rituels pornographiques
souvent mal compris.
En
effet devant ces scènes inlassablement répétées (aussi bien sur le plan
littéraire qu'artistique) un sujet se fait pur objet regard. Et
une expression vient sous la plume de Klossowski qui donne le titre
à l'ouvrage: "La pantomime des esprits". Elle désigne le moment
où, dans la conversation entre un homme et une femme (l'époux-l'épouse),
les mots cessent d'être énoncés. La scène, ouvrant à la rencontre sexuelle
des corps, se fige en entrant de la sorte dans le silence que traduisent
aussi les dessins de l'auteur dans "Roberte ce soir" par exemple.
Le corps, pris par le désir - Klossowski parle des "démons"
- devient le lieu d'une singulière rencontre. L'âme de l'épouse fait
l'expérience que Dieu est le mal déclinant le nouage du corps désirant
et de la théologie dogmatique (on se rend compte combien Bataille n'est
pas loin). La véritable conversation étant silencieuse, un spectacle
se déplie sous le regard de l'époux, nouvel Actéon, c'est pourquoi Klossovski
peut affirmer que "La vérité de la théologie est la pornographie".
"La pantomime des esprits" représente donc et illustre, preuves
à l'appui, cette vérité devenue conjointement spectacle pornographique
et preuve logique de l'exigence de ce nouvel "être suprême en méchanceté"
(Sade) qu'est le Dieu klossowskien.
Dans ses travaux théoriques, Klossowski n'a cessé d'ailleurs comme le rappelle Castanet de commenter l'enjeu de cette "monstration" dont le critique donne par son approche une démonstration. Pour ce faire, il rappelle comment l'auteur a construit des concepts aux acceptions propres : simulacre, perversion, tableau vivant, phantasme obsessionnel, économie libidinale des impulsions, stéréotype, vision gullivérienne, monomanie, solécisme, valeur du bien et du mal, entre autres. Ces concepts sont de véritables outils pour penser le spéculaire pornographique comme vérité théologique. Faut-il alors considérer Klossowski comme un excentrique de la pensée, un marginal de la culture, un hapax dans le monde des arts ? Nullement répond Castanet. Il faut le comprendre comme un théoricien particulier et rare chez lequel concepts, mots et images prennent une valeur inédite. Il faut aussi le représenter tel un praticien hors pair de la lettre, écrite et montrée, où s'isole l'objet regard du voyeur afin de donner aux deux des perspectives nouvelles. |
Jean-Paul
Gavard-Perret
La NRM n° 16 (juin 2006) |
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