Amie
lectrice, tu trouveras ci-dessous une citation que tu n'attendais pas.
Elle est de Stendhal au début de Lucien Leuwen : "Ami
lecteur, songez à ne pas passer votre vie à haïr
et à avoir peur."
Quoique haïr, parfois, puisse conserver
quelque nécessité - haïr la haine, par exemple -
le poète, dont une partie de l'uvre visible sera donnée
ici, n'est pas un bon objet pour ce sentiment extrême, et ses
surprenantes autant qu'indubitables qualités ne devraient pas
faire peur.
Rapilly est le poète que l'on n'attendait
pas. Il est celui qui a déjà accompli certaines choses
très invraisemblables et qu'il aura été le seul
à faire, tout entouré qu'il soit de ces pointus oulipophiles
qui ne craignent aucune formalité extrême. Je rappelle
seulement qu'il est l'auteur de dix millions de sonnets palindromes
Être venu damer Icare, encore inédit, dont j'ai
fait ailleurs et l'an dernier l'éloge dans Tangente, hors
série n°28.
Dans le choix qui se trouve ici, lectrice,
tu n'auras pas peur de trouver et d'apprécier une façon
de toucher au plus central du travail poétique : viser tout de
suite au plus difficile de l'exécution sans laisser la moindre
place au découragement par avance ou post coïtum poeticum.
Il est une maxime axiomatique, qui m'a souvent servi (en me forçant
un peu) : "Impossible n'est pas oulipien". Elle est chez Robert
Rapilly, me semble-t-il, comme allant de soi. Le "Sonnet rapporté
d'après Remémoration d'amis belges" ou encore l'
"Origami" sont là pour renouveler le damage de pion
d'Icare, le dameur lui-même ne se contentant pas, primo de voler,
deusio de ne pas se casser la gueule, mais encore de planer dans les
airs de ce presque-pas-de-sens qui est aussi éloigné du
nonsense que du sens de bois.
Rapilly a tâté de la musique
comme de la peinture (il n'en a pas fini, d'ailleurs), et cela n'est
pas étranger à sa façon de ne laisser à
la poésie que ce qui en est le vrai noyau : la conjugaison nécessaire
des éléments rythmiques dans une forme aboutie d'être
préexistante, si l'on veut bien accepter la contradiction. Il
le fait avec un chant qui tient de celui des poètes du XVe siècle
et de Mallarmé, drôle de mélange très personnel
dans tous ces cadres qui n'ont pas l'air de l'autoriser.
Mallarmé n'aura pas été
au bout de bien de ses intuitions. Robert Rapilly est là pour
les continuer en bon suiveur rationnel et complet, ce qui n'est pas
une tare mais une modestie qui promet.
L'inventeur du "gestomètre",
le poète aux quatrains imparables, le virtuose du palindrome,
non pour le seul exploit mais pour y trouver, par exemple :
Ouïr implique amitié neuve
est à lire avec
attention, à écouter couche après couche, à
aimer comme tel et, une dernière fois, amie lectrice, à
ne pas craindre.
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