Jirí Kolár
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Jirí Kolár est mort à Prague le 11 août 2002, au moment où pour la première fois un grand musée français, celui de Dijon, présentait une rétrospective de son uvre. Né le 24 septembre 1914 à Protivin, en Bohême du Sud, il était âgé de 87 ans. Après une longue période dexil en France, atteint par la maladie, il avait regagné son pays natal en 1999.
Mots en liberté Le destin de Jirí Kolár est exemplaire à plus dun titre. Né dans une famille ouvrière (son père était boulanger et sa mère couturière), cest à ladolescence quil découvre la poésie au hasard dune traduction tchèque des Mots en liberté de Marinetti. Fasciné par les jeux du langage, le jeune homme sintéresse bientôt au surréalisme et se passionne en autodidacte pour lart du collage des mots et des images, un moyen pour lui d'échapper à la grisaille de la petite ville industrielle de Kladno où il vit face à un décor de cheminées d'usine. Il expose des montages pour la première fois à Prague en 1937, dans le hall dun théâtre davant-garde. Son premier recueil de poèmes, Certificat de naissance, paraît en 1941 :
Lannée suivante, il participe à la fondation du « groupe 42 », qui réunit poètes, artistes et photographes. Les pages de son journal pour l'année 1946 (Jours de l'année, année des jours) nous révèlent lacuité de son regard et de ses interrogations dans une Europe ravagée par la guerre.
La visite d'un camp dextermination allemand modifie profondément sa perception du monde et de la fonction de l'art. « Ce fut pour moi un des plus grands chocs que j'aie jamais ressenti : de vastes pièces avec des baies vitrées, pleines de cheveux, de chaussures, de valises, de vêtements, de prothèses, de vaisselle, de lunettes, de jouets d'enfants, etc. Tout cela marqué par un destin effroyable, par quelque chose que l'art ne suffit pas à exprimer, à quoi il ne pourra jamais suffire. C'est ici que culmina mon scepticisme à l'égard de tout ce qui voulait et veut épater, exciter, provoquer à toutes sortes d'exhibitionnismes. » Ce constat le rapproche de Beckett, auquel il s'intéressera plus tard comme traducteur, et rejoint celui du Philosophe Theodor Adorno qui estime à peu près au même moment que « l'idée d'une culture ressuscitée après Auchwitz est un leurre et une absurdité » et que « les artistes authentiques du présent sont ceux dont l'uvre fait écho à l'horreur extrême ». « Il ne reste à l'artiste qu'â être un témoin fortuit ou plutôt oculaire », conclut Joseph Hlavacek dans son étude Confession plastique d'un poète[1].
Poèmes du silence La poésie est pour Jirí Kolár une autre façon de
voir le monde et de le concevoir. Poésie et image sont pour lui un
même territoire, quil va explorer passionnément, avec cette
liberté dont il a compris très tôt quelle nest jamais
définitivement acquise. « La liberté est un art »,
écrit-il en 1946. Cet art nest pas sans risques en Tchécoslovaquie
après le Coup de Prague. En 1953, la publication de son livre Le
Foie de Prométhée, composé dextraits de son journal, lui
vaut neuf mois de prison et une interdiction de publier jusquà
1964. La lecture de ce livre nous apprend pourquoi : face au
joug bureaucratique qui s'impose par la répression ou les moyens plus
insidieux du contrôle social, Jirí Kolár a fait un choix, celui de
continuer à exprimer librement sa pensée et de résister au conformisme
ambiant. Dans son ouvrage majeur, le Dictionnaire des méthodes, (sous-titré LAne ailé), il décrit et commente ses découvertes, illustrées par des exemples visuels. La liste est longue de ses inventions, quil samuse à présenter par ordre alphabétique : Agit-prop, Alphabets et chiffres, Amputations, Analphabétogrammes, Antianatomie, Anticollages, Art accidentel, Art bidon, Art défectueux, Banderoles, Bandes dessinées, Billets de banque, Catalogues, Cheveux, Chiasmages, Choses, Collage hebdomadaire, Collages à accrocher, Collages à glissières et à agrafes, Confrontages, etc Cest quelque chose, linventaire à la Kolar ! Il faudrait pouvoir détailler chacun de ses procédés. Le froissage, par exemple, est une technique qu'il utilise dès les années 50. Elle consiste à laisser traîner dans l'eau (sous la pluie, nous dit Kolar!) une gravure ancienne ou une photo de magazine, et à la froisser en laissant sa part au hasard : la déformation grotesque qui en résulte, sur un portrait ou un paysage urbain, apparaît vite comme un commentaire ironique du sujet d'origine. On trouve aussi de nombreux rollages dans l'uvre de Kolar : ce sont des collages nés de la recomposition d'une reproduction coupée de façon régulière en fines lamelles horizontales ou verticales qui, selon Kolar, « lui ont permis de voir le monde en toujours au moins deux dimensions et de saisir la multiplicité du réel. » Un examen attentif de ses méthodes nous montre qu'il a su pousser l'art du collage beaucoup plus loin que ses prédécesseurs, y compris Max Ernst, dont il intègre et dépasse les procédés. Les réflexions quil nous livre en tant que théoricien de son art sont de précieuses indications sur les voies par lesquelles il a pu aller au delà des apports du cubisme, de dada et du surréalisme[2].
En tant que plasticien,
Jiri Kolar a bénéficié de la reconnaissance du monde officiel de lart
dès la fin des années 60, quand ses collages ont commencé à être exposés
à Prague et dans toute lEurope, ainsi quà New York[3].
Mais il na jamais dissocié son travail de créateur de la défense
de la liberté de penser, et des libertés tout court. A Prague, au
grand café Slavia, le coin où se regroupent intellectuels et dissidents
a d'ailleurs pris dès les années 50 le surnom de « table Kolar » !
Après le Printemps de Prague, malgré de graves ennuis de santé, il
est de ceux qui sopposent à la « normalisation » qui
suit linvasion du pays par les troupes soviétiques. Son nom
est associé à celui de Vaclav Havel, en tête des signataires de la
Charte 77. En 1980, face aux pressions du régime, il choisit la voie
de lexil et sinstalle à Paris, où il adopte la nationalité
française. Ses biens et une partie de ses uvres sont confisqués.
Ce nest quaprès la révolution de velours, en 1989, quil
pourra à nouveau séjourner dans son pays, avant de sy réinstaller
peu avant sa mort. Jiri Kolar était de ceux qui pensent et qui prouvent que chacun peut décider du cours que prendra sa propre vie, en dépit des multiples contraintes que sont lorigine sociale ou culturelle, les nécessités de lexistence, la pression sociale ou le régime politique. Son uvre, qui est à la fois dune grande rigueur et dune extraordinaire liberté, illustre admirablement les possibilités qui sont offertes à chacun, par lart et par la vie. Contraintes et liberté sy affrontent, comme dans la société. A partir de papiers collés sur une surface plane ou sur un objet, elle nous montre que dinnombrables voies peuvent souvrir dès lors quon cesse de subir le donné pour devenir créateur dune uvre ou de sa propre destinée. Dans lépoque désenchantée où nous vivons, il nest pas indifférent que cette belle leçon nous vienne du pays de Kafka et dun « homme du commun » qui y vécut, avec toute une génération dEuropéens de lEst, de longues années détouffement de la pensée vivante et des libertés quelle réclame. Célébré dans son pays et reconnu dans le monde comme un des grands de l'art contemporain, Jiri Kolar était aussi un immense poète, au sens que dit Eluard : « celui qui inspire, bien plus que celui qui est inspiré ». Le « témoin oculaire » qu'il fut devint à sa manière une sorte de voyant. Phil
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