Je résiste à
l'eau.
Je suis
réversible et lunaire. Changeante, stable et facilement
joignable. Je me cambre à volonté. Je suis
double, brune et coiffée au carré.
Perruquée.
Je sais
m'écarter au passage des fauves, et m'habiller
comme il faut.
Je sais porter des tenues correctes et surtout me taire
au buffet. Apprécier et glousser. Sourire et picorer.
Caqueter et voleter. Papillonner et allumer. Scintiller
et roucouler. M'élancer tout à coup, fendre
la foule pour me baisser, et lever les yeux au ciel, faire
la folle et feindre la pudeur, avoir ainsi exposé
des parcelles de moi pour les allumer, la coupe à
la main puis enfin accepter l'invitation à monter.
CV qui
plaît.
Je résiste
aux coups.
Je résiste
aux ombres qui ont labouré mon corps, aux stries
qui ont détruit mon paysage.
Je résiste
aux ravages, à présent dévastée.
Je résiste
à l'eau, au froid, au chagrin qui fut le mien quand
décembre n'a pas balayé du blanc annoncé
la grisaille de mes pensées. Défunte princesse.
Quand
une autre année a recommencé.
Quand
il a fallu se lever. Articuler. Marcher.
Acheter
des cheveux. D'autres. Noir corbeau. Un corps refait,
parfait. Une coupe au carré.
Quand
la mélancolie définitivement s'est installée
au milieu de mes jambes, toujours un peu écartées,
au cas où, quand viendrait le dégel, quand
surviendrait la joie, quand délaissant enfin mes
bras ballants, j'amorcerais le geste de me mettre en cheveux,
d'oser montrer les ondulations qui cernent et auréolent
mon front lisse, sans les plis qui rayent le reste de
mon corps.
Quand
mes paupières closes diraient ma petite mort.
Avec lui
vécue.
Je résiste
au deuil quand l'amour meurt et me déserte, quand
le ciel se noie, quand entre chien et loup ne reste à
suivre du regard qu'un chien qui me passe entre les jambes,
qui dévale la pente de mon ombre sans arrêter
sa course, fol égaré, témoin rescapé
de l'âme de ses maîtres autrefois unis à
vie à la vie à la mort. Mon défunt
prince.
Nous aimions
la vie et les bêtes. Naïvement. La nuit et
le vin. Bêtement.
Par-dessus
tout il aimait passer sa main sur ma chevelure claire
et crantée.
Je résiste
à la nuit sans lui.
Je résiste
à la vie sans l'empreinte de ses caresses qui suivaient
le tracé de mon crâne bombé, qui lissaient
ma tête, qui me devinaient tout entière et
me donnaient un corps à aimer. Qui se souvenaient
du mouvement de mes mèches rebelles. Qui m'énuméraient
au complet.
Je résiste
à l'eau qui engloutirait ma plaie.
Je résiste
et me dédouble.
Je résiste
et me dénude.
Je résiste
et ne leur offre qu'un corps éteint et des cheveux
au carré, jamais relâchés.
Je résiste
les yeux fermés et le corps déjà
ensablé.