Un
grain de sable
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Catherine
Deneuve marchait sur les planches de Trouville. Les deux fillettes jouaient
sur la plage. Un vent léger leur caressait les cheveux ; le sable
ne volait pas. Le soleil, bien que voilé, les réchauffait
suffisamment pour qu'elles restent les bras nus.
Assise sur un banc depuis le matin, je grillais cigarette sur cigarette, assistant passive au défilé des derniers vacanciers de l'été qui s'achevait. Presque à mon insu, ma vie n'était déjà plus tout à fait la même à cet instant. Attirée par le bavardage des fillettes, Catherine Deneuve s'était arrêtée. Elle les regardait, ayant glissé ses lunettes de soleil sur son front. Moi-même je l'observais les observant. Elle semblait fascinée par leur vivacité, leur spontanéité, petites personnes agissant sans entraves. Si elles n'avaient été toutes à leur jeu, si elles avaient levé le nez du sable ne serait-ce qu'une seconde, auraient-elles reconnu, comme moi, en la belle dame qui les fixait la jeune femme blonde qui avait incarné Peau d'Âne et qui assurément représentait l'archétype de la princesse ? Imperceptiblement, la scène qui se déroulait sous mes yeux orientait mon choix, affermissait ma décision. L'heure de goûter était arrivée, chaque enfant avait rejoint ses grands-parents le temps de prélever dans un sac ou un paquet de gâteaux de quoi apaiser sa faim. Elles grignotaient maintenant leur troisième biscuit, assise en silence l'une près de l'autre, surveillant d'un il inquiet les mouettes qui convoitaient à distance les miettes tombées sur le sable. La faim semble aussi sauvage chez les mouettes que chez les jeunes enfants. Les papis et les mamies s'étaient rapprochés et sympathisaient dans l'attendrissement de l'amitié des fillettes. J'en étais certaine alors : j'allais laisser ce petit rien continuer à grandir jusqu'à devenir un petit tout, mon tout petit. Catherine Deneuve était sortie de sa rêverie. Elle s'éloignait, reprenant le cours de sa marche initiale. Le soleil s'était rapproché de l'horizon. Les fillettes avaient secoué le sable et les miettes de leur jupette et se dirigeaient vers le groupe d'adultes, main dans la main. Je me suis levée. Mon paquet de cigarettes était vide ; je l'ai écrasé dans mon poing et jeté dans la poubelle, avec le briquet. Et je suis partie. |