Enfant
je gardais mes secrets jalousement, aussi bien que la Mer morte
dissimule les siens au vent des allitérations, de même
que dans le courant d'une rivière des chatons se débattant
n'auraient dénoncé un drame familial, autant pour
l'homme en redingote, discret au milieu d'un désordre national
et je n'oublie pas les lapins hors du chapeau, l'hirondelle sans
confidence, la grand-m ère emprisonnée dans le pot
à confitures, enfin ma propre mémoire, neuve et en
un seul exemplaire et que je nourrissais de grains de réflexion,
de soupirs hâtifs, de parfums culinaires. Manquait le futur
qui permet d'étendre le savoir jusqu'à l'oubli et
la pratique du silence qui renseigne autant que la dénonciation.
Aujourd'hui certains de ces secrets ont un goût acide, se
confondent avec le doute, parfois la conviction, empruntent les
visages du chercheur d'or. Ainsi le temps des fous se façonne-t-il
parmi ceux qui se taisent devant le désastre, refusent le
plus anodin murmure qui éveille les curiosités inutiles.
Ce pourquoi je dis ignorer les lois du mystère dont je chauffe
souvent mes banalités. Tandis qu'à tout instant s'illustrent
mes idées sans que j'en porte témoignage. Déjà
ma famille complote afin d'entrer en relation avec mes jugements.
J'opine du chef mais n'en démords pas de manquer de fortune
intérieure. Surgissent les voisins avertis, d'autres quidams
périphériques amoureux de toute réserve légendaire.
Plus, certains automobilistes que le hasard projette à mes
pieds comme dans un voyage impromptu. Aussitôt je garde tout,
empile, organise, étincelle. J'avance si vite dans l'exercice
de mes facultés que mon père demande rétribution
chaque fois que l'on me consulte. Mais je reste coi, préserve
ainsi mon fonds de commerce où la monnaie trébuche
sur les piles de billets qui s'en froissent. Le boniment d'une foule
avide me déconcerte un instant bien que je refuse de répandre
mon savoir. " il est seulement muet " dit-on de mon attitude.
Jusqu'à ce que j'explose et déverse en une expiration
débridée, un flot d'hermétismes que l'écho
rend si absurde que nul n'en tire bénéfice. "
Tout bon créateur se tait à jamais ! " répète-t-on
depuis cette débâcle, en guise de conclusion à
l'aventure fabuleuse de mon enfance citée au premier propos.
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