Eldorado
 

D'où qu'ils soient, tous ceux qui viennent là
Ont dans l'idée d'y faire fortune.
Les pauvres des alentours
Bénéficient d'un atout :
L'expérience de la misère.

Aguerris, forts de précarité,
Ils n'ont rien à perdre, que leur vie.
Une vie ne vaut pas cher ;
Mourir ou tuer, qu'importe !
Survivre, c'est déjà gagner…

Les métros, quant à eux, même pauvres,
Ont des habitudes de confort,
Des aspirations, des droits ;
Leur vie n'est pas un enjeu,
Et ils n'arrivent que pour prendre,

Pour chercher des primes inédites,
Une promotion inespérée,
Une expérience exotique,
Pour leurs bambins, une enfance
Digne de Paul et Virginie.

S'ils font trois petits tours et s'en vont ;
Ceux qui passent ne sont pas déçus.
Lorsqu'ils rentrent chez eux, riches
De leur modeste trésor,
Leur cœur est plein de souvenirs.

A moins qu'un mauvais sort ne les frappe :
Accident, noyade ou agression...
Au coin des petits bonheurs,
On trouve aussi le néant
Au cœur d'un destin fort banal..

Mais ceux qui voulaient doubler leur mise,
Mais ceux qui rêvaient d'une autre vie,
Mais les chasseurs d'utopies,
Mais les mal en point de l'âme,
Mais ceux qui pensaient se refaire,

Mais les fauchés, les couverts de dettes,
Mais les fâchés, trompés par la vie,
Les cocus, les alcooliques,
Les frustrés, les sexomanes,
Mais ceux qui se fuyaient eux mêmes,

Combien s'égarent, de tous ceux-ci ?
S'éparpillent dans des rêveries ?
S'abandonnent au délire ?
Se dissolvent sur les fleuves ?
S'évanouissent dans les bois ?

Combien se diluent dans le tafia ?
Combien ne savent plus ce qu'ils font,
Se corrompent dans des femmes,
Tout en corrompant des femmes,
Ou bien pourrissent des enfants ?

Sexe, alcool, stupéfiants ou fantasmes,
Combien disparaîtront à jamais,
Souvenirs sans existence,
Fantômes sans consistance,
Dans le miroir aux papillons ?

Ou referont surface un matin,
Maussades vieillards, usés, perclus,
Ruminant en cheminant
Des rancœurs inassouvies,
Le regard vide du désert infini de leur solitude ?

Flanjou
La NR n°22 - Eté 2008.