Printemps 2009

 

8° ANNEE  N°25

 
La page poésie

      Comme c'est souvent le cas, le thème de ce numéro a été choisi après réception des textes qui y figurent. "La page poésie" - The Poetry Page - est d'abord le titre d'un poème de Gerald Locklin, que j'ai apprécié pour son humour et son détachement à l'égard d'une certaine idée de la poésie comme genre inoffensif. Au moment où en France, un porteur de bonnet d'élu de la majorité, rapporteur d'une commission parlementaire sur "l'identité nationale", se permet d'appeler à un "devoir de réserve" des écrivains après des déclarations de Marie Ndiaye, prix Goncourt 2009, qui ont déplu au président, il n'est pas inutile de rappeler que "la page poésie" n'est pas ce truc inoffensif où l'on parle du chant des oiseaux et des jeux du vent sur le sable. Par nature, elle s'émancipe de la pensée convenue et du "politiquement correct". Il n'est pas facile, dans ce monde incertain, de trouver une place différente de celle qu'il veut nous assigner, à force de contraintes plus ou moins assimilées, plus ou moins dissimulées. La "page poésie" peut nous y aider.

      Les contributions de ce numéro semblent vouloir se répartir entre une face solaire et souriante et une autre plus sombre. Hervé Merlot est sur la face souriante et rend hommage à Gerry Locklin, écrivain et poète californien traduit ici par Eric Dejaeger. "Dites-le avec des fleurs", nous dit Olivier Salon, membre de l'OULIPO, et il nous en offre à profusion. Reine Bud-Printems est tentée de passer de l'autre côté du miroir ; Flanjou, Jacques Abeille et Annick Forshew, nous livrent des textes hantés par le fantastique, tandis que Marie Groëtte évoque d'anciens cauchemars, liés à des images de violence portées par le cinéma. Analyste ironique des "états généreux de l'âme", Annie Wallois, joue sa Daphné, s'imagine tel un arbuste dissimulé au cœur d'un bosquet et avoue finalement : "Je préfère disparaître dans un brin d'herbe". Alfonso Jimenez et Mimosa, enfin, jouent avec nos repères et débordent les cadres habituellement assignés à l'écriture. Changer l'imaginaire, ainsi que le voulait Borges, n'est-ce pas l'enjeu à la fois dérisoire et grandiose de la page poésie ?

PHILIPPE LEMAIRE