Comme
c'est souvent le cas, le thème de ce numéro a
été choisi après réception des textes
qui y figurent. "La page poésie" - The Poetry
Page - est d'abord le titre d'un poème de Gerald
Locklin, que j'ai apprécié pour son humour et
son détachement à l'égard d'une certaine
idée de la poésie comme genre inoffensif. Au moment
où en France, un porteur de bonnet d'élu de la
majorité, rapporteur d'une commission parlementaire sur
"l'identité nationale", se permet d'appeler
à un "devoir de réserve" des écrivains
après des déclarations de Marie Ndiaye, prix Goncourt
2009, qui ont déplu au président, il n'est pas
inutile de rappeler que "la page poésie" n'est
pas ce truc inoffensif où l'on parle du chant des oiseaux
et des jeux du vent sur le sable. Par nature, elle s'émancipe
de la pensée convenue et du "politiquement correct".
Il n'est pas facile, dans ce monde incertain, de trouver une
place différente de celle qu'il veut nous assigner, à
force de contraintes plus ou moins assimilées, plus ou
moins dissimulées. La "page poésie"
peut nous y aider.
Les contributions de ce
numéro semblent vouloir se répartir entre une
face solaire et souriante et une autre plus sombre. Hervé
Merlot est sur la face souriante et rend hommage à Gerry
Locklin, écrivain et poète californien traduit
ici par Eric Dejaeger. "Dites-le avec des fleurs",
nous dit Olivier Salon, membre de l'OULIPO, et il nous en offre
à profusion. Reine Bud-Printems est tentée de
passer de l'autre côté du miroir ; Flanjou, Jacques
Abeille et Annick Forshew, nous livrent des textes hantés
par le fantastique, tandis que Marie Groëtte évoque
d'anciens cauchemars, liés à des images de violence
portées par le cinéma. Analyste ironique des "états
généreux de l'âme", Annie Wallois,
joue sa Daphné, s'imagine tel un arbuste dissimulé
au cur d'un bosquet et avoue finalement : "Je préfère
disparaître dans un brin d'herbe". Alfonso Jimenez
et Mimosa, enfin, jouent avec nos repères et débordent
les cadres habituellement assignés à l'écriture.
Changer l'imaginaire, ainsi que le voulait Borges, n'est-ce
pas l'enjeu à la fois dérisoire et grandiose de
la page poésie ?
PHILIPPE
LEMAIRE
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