L'eau
des rêves
"L'âme
adore nager." (Henri Michaux)
Ce
calendrier perpétuel est, je l'admets, un objet parfaitement
inutile en ce monde où tout se veut utile et profitable.
Immuable et sans date, à quoi peut-il bien servir dans un
univers chronométré où le temps, compressé
et comprimé, nous échappe un peu plus chaque jour
? Cet album des saisons a tout de la montre sans aiguille auquel
il manque la pile. C'est mon petit défi à l'univers
du productif, du précaire et du jetable qui envahit tout
et dévore nos heures. J'aimerais qu'on le prenne comme une
invite à la dérive et à la création,
valable sept jours sur sept et douze mois sur douze.
Les collages
sont pour moi l'occasion de flâner au "clair de lune
de la pensée", ainsi que Jules Renard désignait
la rêverie. Dès que je le peux, je largue les amarres
et embarque pour un petit voyage parmi les gravures qui peuplent
les pages des vieux livres. En feuilletant Le Tour du Monde, Le
Magasin Pittoresque ou La Mode Illustrée, je vogue à
ma guise dans une sorte de disponibilité miraculeuse. Muni
d'une paire de ciseaux et d'un bâton de colle, je pêche
librement les images qui me plaisent. Une fois dans mes paniers,
elles s'agitent, s'emmêlent et se réorganisent, dans
un ordre imprévu et non prémédité, mais
qui tout d'un coup semble être le seul qui leur convienne.
La poésie
qui surgit de ces rencontres frappe comme une évidence. Les
images comme les mots font l'amour. La vision nouvelle qui naît
du collage a la force d'une révélation : c'est une
petite porte ouverte sur le Merveilleux. Le calendrier, qui scande
l'année et marque les mois, m'a paru la manière la
plus agréable de faire partager quelques uns de ces collages.
Source, étang, rivière, lac, océan ou banquise,
l'eau y est souvent présente et incite à se laisser
porter mentalement par son cycle incessant. C'est l'eau des rêves.
PHILIPPE
LEMAIRE
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