Le cas Dagobert

 
 
Pr Claude VERCEY

Professeur Alfonso Jimenez
Clinique de l’Océan et du Lac
Léman réunis
Genève (Suisse)

 
Cher confrère,

Croyez que je me réjouis de votre initiative : publier un dossier sur la délicate question de la tête à l’envers vous honore. Notre littérature (médicale, vous m’entendez...) concernant cette bizarrerie - avec quelle précaution notez-le bien j’évite le terme de maladie, ce qui serait se débarrasser du problème en le travestissant, - est rare mais point inexistante; et j’ai moi-même, en des temps peut-être déjà trop lointains pour que vous vous en souveniez, - je regrette vous le comprendrez que la bibliographie dressée par vos soins n’y renvoie pas, - étudié un cas des plus remarquables, et communément désigné par les spécialistes comme “le cas Dagobert”. Permettez-moi d’en rappeler les grandes lignes.

Dagobert Lebon avait 8 ans quand les premiers symptômes apparurent, dont il y a si peu à douter que ses camarades, saisis par les très-remarquables manifestations du phénomène, ne désignèrent plus dès lors le malheureux garçonnet que sous le sobriquet de Culbuto : cet âge est sans pitié, du moins ne peut-on le taxer d’hypocrite. On connaît assez bien tenants et aboutissants de cette histoire; j’ai montré quant à moi, mais mon mérite n’est pas si grand, que le rôle du père y joua un rôle capital : prenons bien conscience en effet que toute une armée y passa! On conviendra sans peine que ce père, - Éloi de son prénom, médecin de son état, hélas! - n’y alla point de main morte. Mais j’anticipe.

Le petit Dagobert était étourdi, on le sait, ce point n’est pas discutable. Très étourdi, du genre tête-en-l’air, si vous voyez ce que je veux dire; en conséquence de quoi madame sa mère (née Roy) le surveillait d’ordinaire comme un lait sur le feu. Que se passa-t-il ce jour-là, au jardin public ? Il est honnête de penser qu’elle connut un moment d’absence, distraite comme on comprend qu’il arrive, par le manège des pioupious qui a-t-on prétendu fument des roses pour enjôler les bonnes; et le galopin pour cette raison ou pour une autre échappa à son attention. L’important est que lorsque du regard elle le retrouva parmi ses camarades, son fils avait perdu la tête, elle dut bien le constater. Ce fait est indéniable, cette tête bel et bien flottait, à une certaine distance du col flottait, cherchant à s’élever comme l’aurait fait un ballon de baudruche échappant de la menotte de son petit propriétaire. Madame Lebon se précipita comme bien on pense, et évita le pire en saisissant au vol le fil de ses idées (idées du gamin, vous suivez j’espère) qui heureusement restait à portée. Sans un mot, digne car ça ricanait ferme sur les bancs autour d’elle, le fils du docteur pensez !, elle lui remit la tête sur les épaules, lui enfonça jusqu’aux oreilles son chapeau pour faire bon poids, et s’éloigna vivement.

Le père Éloi (pour user d’une expression qui mettait en joie notre collègue Lacan) en fut extrêmement contrarié et réagit avec une promptitude assez brutale. Non seulement il était médecin, comme je l’ai déjà dit, mais il se piquait de psychologie appliquée : dans l’aventure c’était sa crédibilité professionnelle qui était en jeu, du moins c’est ce qu’il ressentit. Toute l’armée alors y passa, tous les petits soldats de l’enfant précipités dans un casserole à feu vif sur le gaz, si c’est pas malheureux! On devine la suite de l’histoire, n’est-ce pas : il lui mit oui lui mit du plomb dans la cervelle, allez, c’était pour son bien.

Trop. Là est le drame, non dans la thérapie employée qui mon dieu était légitime. Le sang du garçonnet ne fit qu’un tour, ou plutôt un demi-tour (un tour et demi à la rigueur) puisque le pauvre Dagobert se retrouva cul par dessus-tête, “tête-à-l’envers” comme disent les gens. Bel exemple n’est-ce pas de ces parents qui veulent bien faire, mais qui par maladresse contrarient le penchant naturel de l’enfant, obligent tel à être artiste plutôt que d’accepter qu’il prépare polytechnique où sans doute il aurait été plus heureux. Qu’à la suite certains géniteurs développent une sorte de sentiment de culpabilité, c’est quand même pas du luxe je trouve, et au final pas cher payé merdalors je le dis comme je le pense!

Recevez, chez confrère, ...

Claude Vercey
La NRM  n° 11 - décembre 2004