Le petit Dagobert était
étourdi, on le sait, ce point nest pas discutable.
Très étourdi, du genre tête-en-lair, si vous voyez
ce que je veux dire; en conséquence de quoi madame sa mère
(née Roy) le surveillait dordinaire comme un lait
sur le feu. Que se passa-t-il ce jour-là, au jardin public
? Il est honnête de penser quelle connut un moment
dabsence, distraite comme on comprend quil arrive,
par le manège des pioupious qui a-t-on prétendu fument des
roses pour enjôler les bonnes; et le galopin pour cette
raison ou pour une autre échappa à son attention. Limportant
est que lorsque du regard elle le retrouva parmi ses camarades,
son fils avait perdu la tête, elle dut bien le constater.
Ce fait est indéniable, cette tête bel et bien flottait,
à une certaine distance du col flottait, cherchant à sélever
comme laurait fait un ballon de baudruche échappant
de la menotte de son petit propriétaire. Madame Lebon se
précipita comme bien on pense, et évita le pire en saisissant
au vol le fil de ses idées (idées du gamin, vous suivez
jespère) qui heureusement restait à portée. Sans un
mot, digne car ça ricanait ferme sur les bancs autour delle,
le fils du docteur pensez !, elle lui remit la tête sur
les épaules, lui enfonça jusquaux oreilles son chapeau
pour faire bon poids, et séloigna vivement.
Le père Éloi (pour user
dune expression qui mettait en joie notre
collègue Lacan) en fut extrêmement contrarié
et réagit avec une promptitude assez brutale.
Non seulement il était médecin, comme je
lai déjà dit, mais il se piquait de
psychologie appliquée : dans laventure
cétait sa crédibilité professionnelle
qui était en jeu, du moins cest ce
quil ressentit. Toute larmée alors y
passa, tous les petits soldats de lenfant
précipités dans un casserole à feu vif sur le
gaz, si cest pas malheureux! On devine la
suite de lhistoire, nest-ce pas : il
lui mit oui lui mit du plomb dans la cervelle,
allez, cétait pour son bien.
Trop. Là est le drame, non dans
la thérapie employée qui mon dieu était
légitime. Le sang du garçonnet ne fit
quun tour, ou plutôt un demi-tour (un tour
et demi à la rigueur) puisque le pauvre Dagobert
se retrouva cul par dessus-tête,
tête-à-lenvers comme disent
les gens. Bel exemple nest-ce pas de ces
parents qui veulent bien faire, mais qui par
maladresse contrarient le penchant naturel de
lenfant, obligent tel à être artiste
plutôt que daccepter quil prépare
polytechnique où sans doute il aurait été plus
heureux. Quà la suite certains géniteurs
développent une sorte de sentiment de
culpabilité, cest quand même pas du luxe
je trouve, et au final pas cher payé merdalors
je le dis comme je le pense!
Recevez, chez confrère, ...
Claude
Vercey
La
NRM n°
11 - décembre 2004
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