Coin si dense 5 - lundi 4 août 2008
Sonnet le glas
 

Je suis triplement ponté.
Je lis "Trois pontes" de Jacques Jouet, alias JJ, d'après "Trois contes".
Je décroche le téléphone : ma tante Simone est morte, dont la vie normande, le deuil du fils, la foi terrienne perpétuaient la Félicité de Flaubert.
Je me souviens, seul invité d'un repas en semaine chez elle, du pain béni à la pointe du couteau.

Je marche sur le trottoir d'Hellemmes, banlieue commode, salon funéraire non loin du café tabac.
Je dépasse à mi-distance des deux établissements un homme allongé que massent chacun son tour des pompiers  exténués.
Je vois des jambes inertes, mollets bleus sous l'ourlet du pantalon.
Je croise quelques mètres plus loin une gamine tout en noir qui sautille, 10 ans peut-être, longs cheveux blonds : serre-tête, chemisier, jupe, chaussettes - un autre deuil, entamé celui-là - et même accoutrement la petite sœur et la mère qui suivent.

Je rattrape presque un jeune homme à casquette, père ou oncle à la vingtaine, un couffin tout neuf encore emballé à la main, et il me manque de le rejoindre tout à fait avant la bouche de métro, lui dire la gloire à naître.
Je revois le fatal "Concours de circonstances", tableau de Christian Zeimert dans un catalogue rétrospectif chez JJ.
Je réponds une seconde fois au téléphone aujourd'hui ; qui ? JJ.

Je médite aux coïncidences, qui d'ordinaire étonnent, en objectant que la vigilance poétique en action décèle tant de détails (sensitifs, mnésiques, lexicaux, numériques...) que l'étonnant serait de n'y point trouver de coïncidences.
J'entends JJ, guilleret et surtout pas superstitieux, répondre néanmoins "Ne sors plus aujourd'hui !", eh bien d'accord.
J'écris et relis en comptant, sans préméditation voici le quatorzième vers libre d'un sonnet achevé.