Clara et le vampire lactophile

Clara vivait au loin, par de nombreux horizons. À voir selon celui dont l'envie était de s'en gaver les yeux. Pour se rendre chez elle, beaucoup marcher, souffrir et parler aux horizons incertains, savoir bien nager, et surtout être capable de ne pas se perdre en route, ne pas crever dans les tournants malgré la vitesse du déroulement des parchemins concernant les espaces temps.

     Pour toutes ces raisons elle avait difficile à rencontrer un amoureux. Questions de traverser ses nuits et ses jours accompagnée de petits bisous sur les joues. Toutes les terres de son royaume étaient infestées de bêtes voraces attirées de viande d'amoureux perdus en espaces immenses, à en connaître chaque jour un peu plus sur le sujet. Fatiguée de regarder le soleil reculer les jours, seule en ses souffrances aléatoires. Force de missive, espoir en des brouillards, la laissait toujours seule, rongée par la seule corrosion de ses convictions. En ses territoires elle en voulait au monde, pas de certitudes sans montrer ses nénés. Les conseils infructueux de son médecin ne l'aidaient pas, car le coup des suppositoires contenant des gaz hilarants, elle s'était bien promis de ne pas le recommencer. Ce docteur se payait sa tête et elle se promit qu'à la première occasion elle le transformerait en pâture pour lion squelettique.

      De l'autre coté de ses paysages, par force de faire reculer le soleil en l'autre sens, vivait un vampire reconverti à la lactophilie. Clair que ses prises de sang le faisaient vomir. Suivi médical intensif entrepris par les soins de parents attentionnés, inquiets de le voir dépérir. Il en prit coup de talon sur les fonds de désespoirs aléatoires. Entre vomissure et résurrection, le temps à prendre de rencontre exacte et satisfaisante, de nouveau présent digestible. Il semblait à tout son entourage que la thérapie fut une réussite, car il ne tarda pas à reprendre du poil de la bête.
      Mis à part en absences plus nombreuses, les jours coulaient comme du miel, et le mot heureux ne leur fut plus étranger. Car la présence imaginaire de Clara satisfaisait tous examens attentifs, il se collait au moule, millimètre près, souffrance et dépit s'enfournaient en un Coriolis en gouffres insondables recouverts de putréfaction historique. Malgré la distance, et désirs absolus de conformation, ces deux là s'entrevoyaient en des rêves. En un sommeil indispensable pour agrandir leur vie de province, rêves de fleurs, à se parler et se donner fleurs.
      Clara rêvait d'échapper à son sinistre destin, car pour elle il n'était plus temps d'attendre. Elle en avait assez, de se confronter en amoureuse. Entourée de lions squelettiques et autres bestioles à dévorer sans vergogne tous amoureux potentiels, ne lui laissant qu'os et boîte crânienne emplie de mouches bleues à voleter là dedans. Ses rêves sous traces de mots n'étaient-ils pas le signe annonciateur d'un profond changement ? Car dans le bruit de fond résonance de la création du monde, une douce musique lui murmurait, mots incoercibles, donc questions à résoudre. Et comme de ses jours elle s'ennuyait, elle acquit la conviction que le bonheur l'attendait au coin d'un bois.
      Fait nouveau, le lendemain de chaque soir de pleine lune elle avait mal aux seins, mais s'abstint assurément de consulter médecin pour en connaître la cause, car elle avait par expérience acquis la conviction qu'ils étaient farceurs parmi d'autres. Les mois se déroulèrent garnis de mêmes circonstances, hormis, lune ronde comme une vague en un pays de rêve. Lendemain de l'une de ses nuits rondes, emplie de sensations, images et pensées à surgir dans la confusion, elle constata que sa chemise de nuit était légèrement déchirée à l'endroit du bout de ses nénés. Et pour éclaircir la situation, l'envoya sur le champ au professeur M'as-tu vu. Celui-ci après quelques semaines de réflexion lui prit la conclusion d'un diagnostic des plus surprenants pour la région où ces espèces depuis longtemps disparues n'étaient plus que matières fossiles. Il s'agissait de traces de dents de lait, provenant de l'évolution de dents de vampires, l'analyse A.D.N. ne laissait aucun doute.
      Troublée et ensuite confortée par cette histoire, car enfin on s'occupait d'elle, elle décida simplement de ranger sa chemise de nuit au placard. D'attendre en une prochaine la venue de la bestiole vorace et de la serrer en ses bras le temps de vivre ses transformations. Elle colla de même sur son plafond un perchoir spécial pour vampire ou il est permis de voir le monde à l'envers, suspendu également un bol de milk-shake à la framboise, afin de savoir s'il pouvait varier son menu.
      Lui fendait l'air, grand oiseau attiré par le parfum de framboise et lait mélangé, aussi l'odeur qui lui était délicieuse et maintenant familière, celle de Clarisse. Elle heureuse de cette future rencontre reculait les ondes du sommeil, nue sur son lit, découverte au regard des étoiles, rêveries ou les fleurs en légions traversaient ses esprits à la dérive. Elle assumait les bateaux en perdition pour cause de tempêtes et pensait surtout à Lindbergh. Les fils de pensées s'entremêlaient et une souris y déposa un morceau de fromage pour petit déjeuner. Les brumes de sommeil la guettaient. Largement après minuit, alors que le soleil endormi laissait la lune à ses libres cours. En retard en sa vie difficile de vampire, fatigué d'un si grand voyage. Corps couvert de la poudre ocre poussière de paysages. Ses yeux croisèrent ses yeux avec son corps comme une ombre, et de ses yeux les paysages s'avançaient vers elle accélérés dans leurs espaces temps. Ils se mouvaient en des matins et soirs qui se touchaient presque en un aléatoire à ne se dissoudre que par prise de décisions.
      Ombres de couleurs où la vie reprenait ses formes et où ce qui existe se dissolvait en un brouillard aussitôt aspiré par des horizons animés par les battements réguliers de ses cils. Il la regardait, nouveau paysage déposé sur un drap blanc, vint s'y se blottir dans le plus contre elle qu'il pouvait, sombrant vers de nouveaux jours ou il serait lui-même, sauf en exception des soirs de pleine lune.

      Depuis chacun vit à pleines dents son ignorance. Sauf en régions reculées, le soleil ne peut s'empêcher de rougir à l'heure de son dodo. On dit aussi que depuis lors les campagnes sont peuplées de vampires qui sentent bon la framboise.

 

Charles Dutilleul
La NRM  n° 31 - Janvier 2013