Le cauchemar d'Alice

Une nouvelle inédite de Lewis Carroll

 

Alice se demandait où avait bien pu passer le Lapin Blanc. Elle avait fini par se perdre dans les méandres du terrier dans lequel elle l'avait suivi. Tandis qu'elle cherchait une issue, une odeur de poisson parvint à ses narines. "La mer ne doit pas être loin" pensa-t-elle, "je pourrais toujours demander mon chemin à la Tortue Fantaisie." Elle finit par trouver une sortie et arriva sur une plage, mais n'y vit nulle trace de la tortue. Elle aperçut alors une ville à quelques pas de là et s'y dirigeait, lorsqu'elle croisa un homme étrange. "Pardon, monsieur," lui dit-elle en faisant une révérence (elle savait que la politesse était importante en toutes circonstances), "Auriez-vous vu le Lapin Blanc ? Ou la Tortue Fantaisie ?". L'homme la fixa de ses yeux ronds dont les paupières ne cillaient pas. Sans un mot, il tendit le doigt en direction d'un bâtiment situé un peu plus loin. "Je vous remercie, monsieur" répondit-elle, toujours très polie, bien qu'un peu décontenancée par les manières rudes de l'homme. L'odeur de poisson était encore plus forte dans la ville, ce qui ne plaisait pas beaucoup à Alice. Elle eut alors une pensée pour sa chatte. "Comme ma petite Dinah serait heureuse ici, elle qui aime tant le poisson ! Cela doit faire longtemps que je suis partie, la nuit commence à tomber. J'espère qu'on lui aura donné son écuelle de lait." L'immeuble était un hôtel délabré. Alice déchiffra sur un écriteau les mots suivants : "Hôtel Gilman, Innsmouth", et entra dans la bâtisse. Un drôle de personnage se tenait derrière le guichet. "Je dois sûrement être arrivée au pays des hommes-poissons" se dit-elle. Elle lui demanda où se trouvait le Lapin Blanc. L'étrange créature lui tendit la clé d'une chambre en disant : "Iä-R'lyeh ! Cthulhu fhtagn ! Iä ! Iä !" d'une voix gutturale. Alice ne fut pas surprise de cette réponse, elle était accoutumée aux situations inhabituelles. Bien qu'elle n'eût pas compris un traître mot de son discours, elle fit une respectueuse révérence à l'être aux yeux de poisson, et monta quatre à quatre les marches qui menaient à la chambre 428.

Clio Verrin
La NRM  n° 31 - Janvier 2013