J'ai
pris racine au coeur d'un bosquet à flanc de colline.
Arbre parmi les arbres. Un et multiple. Un bosquet à
moi seul. Rejeton de cette lignée à mon corps
défendant ; autant le dire : je descends des Bosquet,
même si Bois, plus obscur, plus épais, plus auguste,
plus opaque à l'oreille, eut flatté plus sûrement
mon aspiration au mystère.
Et c'est bien pour préserver cette moindre part de
mystère conférée au dénommé
Bosquet, que je préférais ignorer le petit nom
qui me vouait à une espèce classée dans
les précis de botanique ; on le sait : le mystère
est ennemi de l'éparpillement ; d'un seul mot d'un
seul, il fait un refuge à son foisonnement.
Il importait aussi de ne pas négliger le ferment de
la distance qui resserre, et peint en noir les trous de lumière.
Fort de cette instinctive certitude que tout mystère
appelle le recul, je me dérobais et me projetais sur
la route goudronnée parallèle ; je déployais,
entre mes semblables et moi, une pâture bordée
en amont d'un chemin de terre criblé de silex. Et j'avançais
camouflé, non sans vérifier d'un coup d'il
latéral que tout était bien là, d'où
j'étais parti.
Furtivement je saluais les têtes feuillues inclinées,
en formation compacte sur des gradins ; au plan bas, la plus
proche rangée d'arbres, et derrière, son spectre
encore visible, en alignements étagés sur plusieurs
degrés.
Le tracé brûlant de la route s'enfonce au creux
du village, remonte en direction de l'église avant
de poursuivre sa course vers les lointains. Mais déjà,
sans le vouloir vraiment, je la quittais, pour les sentiers
où la terre sèche bouloche et emprisonne les
cailloux pointus.
Plus j'allais, plus ma souche enflait, se matelassait d'un
bourrelet comme d'une bouée protectrice contre les
aspérités blessantes ; se scindait enfin.
Je chemine depuis si longtemps ; humain, à ce jour,
par adoption ; et des feuilles mortes collées à
mes semelles pâteuses.