Bosquet

J'ai pris racine au coeur d'un bosquet à flanc de colline. Arbre parmi les arbres. Un et multiple. Un bosquet à moi seul. Rejeton de cette lignée à mon corps défendant ; autant le dire : je descends des Bosquet, même si Bois, plus obscur, plus épais, plus auguste, plus opaque à l'oreille, eut flatté plus sûrement mon aspiration au mystère.

Et c'est bien pour préserver cette moindre part de mystère conférée au dénommé Bosquet, que je préférais ignorer le petit nom qui me vouait à une espèce classée dans les précis de botanique ; on le sait : le mystère est ennemi de l'éparpillement ; d'un seul mot d'un seul, il fait un refuge à son foisonnement.

Il importait aussi de ne pas négliger le ferment de la distance qui resserre, et peint en noir les trous de lumière. Fort de cette instinctive certitude que tout mystère appelle le recul, je me dérobais et me projetais sur la route goudronnée parallèle ; je déployais, entre mes semblables et moi, une pâture bordée en amont d'un chemin de terre criblé de silex. Et j'avançais camouflé, non sans vérifier d'un coup d'œil latéral que tout était bien là, d'où j'étais parti.

Furtivement je saluais les têtes feuillues inclinées, en formation compacte sur des gradins ; au plan bas, la plus proche rangée d'arbres, et derrière, son spectre encore visible, en alignements étagés sur plusieurs degrés.

Le tracé brûlant de la route s'enfonce au creux du village, remonte en direction de l'église avant de poursuivre sa course vers les lointains. Mais déjà, sans le vouloir vraiment, je la quittais, pour les sentiers où la terre sèche bouloche et emprisonne les cailloux pointus.

Plus j'allais, plus ma souche enflait, se matelassait d'un bourrelet comme d'une bouée protectrice contre les aspérités blessantes ; se scindait enfin.

Je chemine depuis si longtemps ; humain, à ce jour, par adoption ; et des feuilles mortes collées à mes semelles pâteuses.

Annie Wallois
La NRM  n° 25 - Automne 2009