Bleu nuit

Souvent en silence j'ai pleuré. En dedans.

Souvent j'ai rêvé toutes les larmes de mon corps.

Souvent mes larmes ont mouillé mes mots et mes nuits.

Souvent à la dérive mes mots m'ont déportée.

Souvent sans pouvoir parler, avaler, avancer, me lever, en nuits bleues j'ai découpé ma vie.

Striée.

Stations. Stances. Stop. Saturée.

Souvent sans lien seul bleu nuit lettre morte mer chassée astre point blanc ciel hommes embarqués dérivée

Les matins m'attendaient mais la nuit me retenait, despote, âme inarticulée, la peur au ventre, paralysée, les jours étaient trop hauts, tours jumelles prêtes à tomber.

Rester horizontale. Clouée.

Indépassable angoisse peignant de bleu nuit le ciel diurne. Geignante terre glabre.

Souvent ne pas dire je, ne pas pouvoir, engloutie.

Ne pas voir les hommes, ne pas vouloir être sauvée, déterrée, dénoyée, débleuie, désirée.

Surtout ne pas vouloir au risque de retomber. Surtout ne pas héler l'homme au risque de l'aimer. Laisser les mots flotter, frôler ses nuits, remplir son gilet, aléatoire pêche au coup.

Mortes les sirènes, en miette les partitions ensorceleuses, échevelé mon cri, étouffés mes mots.

Bleu pétrole de Baschung tient bon, lui. Trop fort. Trop blues.

« Mon ange je t'ai trahi. Je t'ai laissé aimer d'autres que moi… Mon ange je t'ai trahi »

Bleu nuit.

Je ne suis pas là, pas au monde, pas pour vous, pas pour vivre.

Bleu nuit.

Mon corps est une phrase insensée éparse, inachevée que seule la couleur entend et allonge.

Je vous laisse quelques peaux de moi mortes et décousues, pas assez pour en faire du sens, du profit.

Souvent j'ai su que mes cendres seraient dispersées non loin d'une barque tombeau habitée par des pêcheurs qui ne m'ont jamais crue.

Souvent j'ai su que mon corps n'était que papier mâché.

Mes larmes bleues nuit seules étaient vraies.

 

 Géraldine Serbourdin
Sur un collage de Philippe Lemaire, "Les pêcheurs du bord du monde".
Dimanche 27 octobre 2013, 18h.
La NRM  n°35 - Décembre 2014

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