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La Traversée du livre
nous conte trois décennies daventure avec le livre.
Embauché en 1942 comme apprenti à la librairie Gallimard,
Jean-Jacques Pauvert passe vite du commerce du livre à lédition,
à la fois par instinct et par goût. Il na pas encore
vingt ans lorsquil adresse à quelques auteurs choisis
(Aymé, Léautaud, Montherland
), un manifeste destiné
à les associer au projet dune revue : « Nous
voulons vivre. Est-ce si difficile ? Le monde sera
bientôt aux mains des polices secrètes et des directeurs
de conscience. Tout sera engagé. Tout servira. Mais nous ?
Nous ne voulons servir à rien. Nous ne voulons pas que lon
nous utilise. Une pluie de cendres enfouit lentement la
terre sous lennui et la contrainte. Les hommes, un
à un, rejoignent leur affectation dans les troupeaux. Nous,
nous sommes les innocents du village. Nous jouons avec les
filles, le soleil ou la littérature
»Le « jouissons
sans entrave » de Mai 68 nest pas bien loin
mais nous ne sommes encore quen 1945 ! La revue
ne verra pas le jour, mais les contacts obtenus lui permettent
de commencer à publier « aux dépens du Palimugre »
- un mot sans signification entendu dans un rêve. Le premier
Pauvert est un texte de Sartre sur Létranger
de Camus. Laventure est modeste au début et ladresse
de léditeur, à Sceaux, est celle
du garage de
ses parents. Elle prend son envol avec un projet un peu
fou, lédition des uvres complètes de Sade, alors
interdit. Jean Paulhan lui confie Histoire dO,
le roman érotique de Dominique Aury qui vivra une longue
vie secrète avant datteindre le grand public. Puis
viennent Jean Genêt, Georges Bataille, André Breton, Boris
Vian, Pierre Klossowski, André Hardelet
mais aussi
le Littré, Victor Hugo, Raymond Roussel
En des temps
où le mot érotisme suffisait à faire frissonner
ou
tousser, la fermeté de Jean-Jacques Pauvert dans sa lutte
contre la censure inspire le respect. Mais elle lui coûta
ses droits civiques. En 1960, un Mauriac pouvait encore
écrire quil incarnait « le Mal absolu
le Mal qui est Esprit, le mal qui est Quelquun ».
Pauvert, cétait le Diable !
« Un courant me porte
Je ne sais pas trop vers quoi », fait
remarquer Jean-Jacques Pauvert à plusieurs
reprises dans ces mémoires. Il précède son époque,
en même temps quelle le pousse. Mais ses
motivations profondes, les raisons de ses choix,
risqués et exigeants ? A un journaliste, il
avoue un jour : « Une fois, on a
demandé à Gaston Gallimard : « Pourquoi
éditez-vous ? » Et il a eu cette réponse
admirable : « Pour me faire une
bibliothèque ». « Moi, cest
vrai, je ne publie que ce que jaime :
à trente livres par an, dans quarante ans, cela
fera douze cents volumes. Une gentille petite
bibliothèque, et bien à moi ! »
Merci, Jean-Jacques Pauvert, pour nous avoir
invité à partager cette gentille bibliothèque
tout en défendant farouchement, face à toutes
les censures, le droit de publier toutes les
productions de lesprit.
Jean-Jacques Pauvert :
La Traversée du livre
Mémoires (Viviane Hamy, 28 euros).
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